Engagement de l’Union européenne à mettre en place un système de diligence raisonnable juridiquement contraignant en matière de droits de l’homme et d’environnement pour les entreprises : conséquences pour le Canada – Document d’orientation
13 mai 2020
But
Une partie de l’approche de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) visant à promouvoir les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies (« les Principes directeurs ») consiste à informer régulièrement nos parties intéressées publiques, privées et multipartites de l’évolution mondiale de la mise en œuvre des Principes directeurs et de ses conséquences pour le Canada. Cette démarche comprend l’analyse des dimensions relatives au genre qui peuvent être intégrées à bon escient dans nos pratiques de diligence raisonnable en matière de droits de la personne, ce qui nous permet d’honorer notre engagement d’intégrer l’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) dans toutes les politiques gouvernementales.
Le présent document résume une étude de la Commission européenne (CE) sur les exigences en matière de diligence raisonnable tout au long de la chaîne d’approvisionnement (1) et présente des points clés concernant la pertinence de ses conclusions pour le Canada.
Contexte
Le mandat en quatre parties de l’OCRE « promouvoir, conseiller, examiner et recommander » a été adopté dans le contexte de l’approbation par le Canada des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, qui constituent, entre autres, un plan directeur pour aider les États membres à remplir leurs obligations législatives concernant les traités internationaux ratifiés en matière de droits de la personne et de travail (2). Dans le cadre de référence « protéger, respecter et réparer » des Nations Unies, le Canada a pris les mesures suivantes pour la mise en œuvre :
- Protéger (Principes directeurs nos 1 à 10) :
- Le Canada a ratifié sept traités relatifs aux droits de la personne, en plus d’autres traités pertinents avec les Nations Unies, l’Organisation internationale du travail, l’Organisation des États américains et le droit humanitaire (3).
- À l’échelle nationale, le Canada a adopté la Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif (4) et récemment, le projet de loi S-211 « Loi édictant la Loi sur l’esclavage moderne et modifiant le Tarif des douanes » (5) et le projet de loi C-423 « Loi concernant la lutte contre certaines formes modernes d’esclavage par l’imposition de certaines mesures et modifiant le Tarif des douanes » ont été proposés (6).
- Le Canada a également modernisé sa politique fédérale à l’égard de l’ACS+ et en a élargi la portée pour y inclure une politique étrangère féministe, qui assujettit plus d’accords de libre-échange à l’ACS+ (7).
- Respecter (Principes directeurs nos 11 à 24) : Une consultation nationale a été menée pour cerner les tendances, les obstacles et les possibilités en matière de responsabilité des entreprises au Canada. Le rapport a recensé des mesures concrètes découlant de cette étude (8).Note de bas de page 1
- Réparer (Principes directeurs nos 25 à 31) : L’OCRE et le point de contact national (PCN) canadiens ont des rôles complémentaires pour ce qui est de la prise en compte des droits de la personne dans la conduite responsable des entreprises.
Le 29 avril 2020, le commissaire européen à la Justice s’est engagé à présenter une loi sur les obligations de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme et d’environnement pour les entreprises de l’UE dès le début de 2021. Cette déclaration a été faite au cours d’un webinaire organisé par le groupe de travail de l’UE sur la conduite responsable des entreprisesNote de bas de page 2 pour discuter des conclusions d’une étude exhaustive sur les exigences en matière de diligence raisonnable tout au long de la chaîne d’approvisionnement, réalisée pour la CE.
Cette étude met en évidence l’adoption et la mise en œuvre croissantes des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme par les gouvernements, en particulier l’obligation législative pour les entreprises de veiller à ce que la diligence raisonnable en matière de droits de la personne soit intégrée à leurs activités. Cette tendance reflète un consensus naissant entre les entreprises, les gouvernements et les organisations de la société civile. Les conclusions de cette étude peuvent éclairer l’examen du projet de loi S-211 et la mise en œuvre des Principes directeurs.
Considérations
Pertinence de l’étude
- L’étude présente et passe en revue un certain nombre d’options différentes pour renforcer la diligence raisonnable, l’option la plus stricte étant l’imposition d’exigences en matière de diligence raisonnable.
- L’étude relève que la création d’organismes de surveillance aurait des conséquences importantes sur le plan des ressources pour les États, en raison de l’ampleur de ce qui devrait être contrôlé.
- L’étude reconnaît qu’actuellement, les victimes touchées par les effets négatifs des entreprises n’ont pas accès à un recours efficace (p. 228-229), mais n’examine pas comment les recours judiciaires ou non judiciaires et la surveillance proposés permettraient de surmonter ces obstacles, et prévoit encore moins de spécifications pour y remédier.
- Les recommandations législatives de la Coalition européenne pour une justice des entreprises comprenaient des dispositions relatives à la répartition équitable du fardeau de la preuve dans les mécanismes de recours comme moyen de contribuer à la suppression de ces obstacles (mais au-delà de ceci, les recommandations sont aussi limitées en ce qui concerne la suppression des obstacles).
- L’instrument juridiquement contraignant du groupe de travail du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies comprend des dispositions visant à protéger les droits et la sécurité des victimes et à garantir un accès non discriminatoire à la justice et à un recours effectif (article 4), y compris une aide pour les frais administratifs et les exigences en matière de fardeau de la preuve.
Principales constatations de l’étude de la CE
- Bien que les femmes et les filles subissent de façon disproportionnée les effets négatifs sur les droits de la personne qu’ont les activités des entreprises, il n’est pas tenu compte de ce facteur dans les pratiques de diligence raisonnable actuelles (p. 92).
- L’étude indique que les effets sur les droits de la personne peuvent être négligés dans les activités et dans la chaîne d’approvisionnement des entreprises si les droits de la personne ne sont pas pris en compte dans leur intégralité (p. 226).
- Les entreprises peuvent envisager de divulguer de façon proactive leurs politiques sur la représentation des femmes et la diversité pour susciter des conversations au sujet de la promotion de l’égalité des genres (p. 498).
- Il existe un certain nombre de loisNote de bas de page 3 dans les États membres de l’UE qui comprennent des exigences de diligence raisonnable couvrant des sujets tels que la santé et la sécurité, la responsabilité liée aux produits, l’emploi et l’environnement (p. 200).
- L’étude examine quatre options de propositions réglementaires concernant la diligence raisonnable tout au long de la chaîne d’approvisionnement : 1) aucun changement, 2) de nouveaux principes directeurs facultatifs, 3) de nouvelles exigences en matière de rapports et 4) la diligence raisonnable obligatoire comme norme juridique de diligence. Le commissaire européen à la justice s’est engagé à concrétiser l’option 4 (p. 250). La réglementation exigera que les entreprises fassent ce qui suit :
- Déterminer, prévenir, atténuer et prendre en compte les effets réels ou possibles sur les droits de la personne et l’environnement dans leurs propres activités et tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement.
- Respecter une certaine « norme de diligence » en matière de diligence raisonnable.
- Démontrer/défendre qu’elles ont respecté cette norme de diligence pour échapper à toute responsabilité.
- Déterminer divers facteurs susceptibles d’influer sur la diligence raisonnable appropriée dans un contexte précis, notamment : la gravité/l’importance des impacts, la taille de l’entreprise, le secteur, le contexte d’exploitation, la structure de propriété de l’entreprise, les ressources de l’entreprise, les normes de diligence propres au secteur, l’effet de levier de l’entreprise et si cela a été exercé, ce que l’entreprise savait ou aurait dû savoir.
- La diligence raisonnable en tant qu’obligation légale (c’est-à-dire que les entreprises ont fait tout ce que l’on peut raisonnablement attendre d’elles) plutôt qu’une exigence de procédure (c’est-à-dire qu’elles ont fait les démarches nécessaires, « coché toutes les cases »).
- Déterminer divers facteurs, notamment : quels processus ou étapes ont été mis en œuvre? Étaient-ils adaptés au contexte? Comment ont-ils été mis en œuvre dans la pratique?
- Examiner les différents champs d’application :
- Catégorie étroite d’entreprises, par exemple des secteurs ou des produits particuliers (bois, minéraux), ou des droits précis (par exemple les formes modernes d’esclavage, le travail des enfants), ce qui a été considéré comme limitant une diligence raisonnable plus large.
- Application horizontale à tous les secteurs, mais :
- pour les grandes entreprises uniquement;
- pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, en reconnaissant que les petites entreprises n’ont pas nécessairement un impact moindre;
- pour toutes les entreprises, mais avec des exigences supplémentaires pour les grandes entreprises.
- L’inclusion d’un mécanisme de surveillance et d’application prévu par la loi, et des conséquences juridiques pour les entreprises afin d’assurer la conformité et de soutenir l’efficacité des dispositions.
- Accès à des recours judiciaires et non judiciaires orientés vers les personnes touchées (c’est-à-dire d’une manière qui leur soit utile, qui ne soit pas adressée au gouvernement), qui peuvent fournir des réparations sous forme d’indemnisation financière, de rétablissement des conditions antérieures au dommage (p. ex. pour les dommages environnementaux), d’indemnisation des dommages (dommages quantifiés), de recours préventifs (injonctions), d’indemnisation proportionnelle à la contribution de l’entreprise au dommage.
- Création d’organismes de surveillance et d’exécution (au niveau de l’UE et/ou des États), au sein des ministères étatiques ou indépendants de ceux-ci, ayant le pouvoir de prendre des mesures d’exécution telles que des amendes, la nomination de contrôleurs, le retrait de licences ou de concessions commerciales, ou la dissolution d’entreprises, ainsi que des sanctions pénales.
Conclusions
Pertinence pour le Canada
- L’étude analyse l’incidence d’une telle législation, ce qui peut orienter l’examen du projet de loi S-211 au Canada.
- L’étude détermine des méthodes efficaces pour intégrer des dimensions relatives au genre dans les pratiques commerciales de diligence raisonnable en matière de droits de la personne, ce qui peut aider le Canada à appliquer sa politique étrangère féministe.
- La proposition définit et cible les défis importants liés aux efforts actuels visant à renforcer la diligence raisonnable, et cherche à les relever, à savoir :
- cibler les effets réels des mesures prises par les entreprises pour déterminer et traiter les effets sur les droits de la personne liés à leurs activités, plutôt que des mesures superficielles de type « case à cocher »;
- appliquer à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, plutôt qu’à l’entreprise;
- souligner la nécessité de recours orientés vers les personnes touchées et la nécessité d’organismes de surveillance pour contrôler la conformité, qui sont habilités à appliquer directement des mesures d’exécution telles que des amendes.
- Elle présente toutefois encore un certain nombre de limites importantes, plus précisément en ce qui concerne la suppression des obstacles à l’accès.
- L’adoption de cette proposition par l’UE (dans 2 à 3 ans) devrait permettre de répondre à la résistance du secteur privé canadien en matière de compétitivité, puisqu’elle s’appliquerait à des millions d’entreprises enregistrées dans l’UE.
Autres ressources
- La Coalition européenne pour une justice des entreprisesNote de bas de page 4 a publié un mémoire juridique contenant des recommandations pour une législation modèle sur la responsabilité des entreprises et une ébauche d’instrument juridiquement contraignant. Ce document met également en évidence le soutien de l’UE et de la communauté internationale à la législation sur la diligence raisonnable en matière de droits de la personne. (Accessible ici)
- Un projet de traité sur la diligence raisonnable en matière de droits de l’homme, intitulé « Instrument juridiquement contraignant visant à réglementer, dans le droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales », est disponible. Il a été rédigé par le groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. (Accessible ici)
Références
- Commission européenne. (2020). Study on due diligence requirements through the supply chain. (en anglais)
- Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. (2014). Si les Principes directeurs ne sont pas un instrument juridique, ne sont-ils que facultatifs? Dans « Questions courantes sur les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ».
- Gouvernement du Canada : Traités sur les droits de la personne. (Mise à jour 2019).
- Parlement du Canada, première session, 43e législature. (2020). Projet de loi S-211 : Loi édictant la Loi sur l’esclavage moderne et modifiant le Tarif des douanes.
- Gouvernement du Canada : Site Web de la législation. Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif(L.C. 2014, ch. 39, art. 376). Consulté le 12 mai 2020.
- Parlement du Canada. (2018). Projet de loi C-423 : Loi concernant la lutte contre certaines formes modernes d’esclavage par l’imposition de certaines mesures et modifiant le Tarif des douanes.
- Gouvernement du Canada – Commerce international et investissement. (2019). Aperçu : Analyse comparative entre les sexes plus.
- Strandberg Consulting et Emploi et Développement social Canada (EDSC). (2019). Corporate social responsibility in Canada: trends, barriers and opportunities. (en anglais)
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