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Rapport d’évaluation initiale d’une plainte déposée par une coalition de 28 organisations concernant les activités de Levi Strauss & Co. (Canada) inc.

Numéro de dossier : 220847
Date de réception de la plainte : 21 juin 2022
Date de publication du rapport : 20 septembre 2023

À propos de l’OCRE

Le Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) est un mécanisme de règlement des différends relatifs aux entreprises et aux droits de la personne mis en place par le gouvernement du Canada. Toute personne peut déposer une plainte auprès de l’OCRE concernant de possibles atteintes aux droits de la personne résultant des activités des entreprises canadiennes à l’étranger dans le secteur du vêtement, minier ou pétrolier et gazier.

Pour de plus amples renseignements, consultez le site du Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises.

Quel est l’objectif de ce rapport?

Dans ce rapport, l’OCRE présente l’information relative à l’étape d’évaluation initiale d’une plainte déposée par une coalition de 28 organisations canadiennes le 21 juin 2022 concernant les activités de Levi Strauss & Co (Canada) inc.

Conformément à l’article 16 du Décret de l’OCRE, les parties ont eu la possibilité de commenter les faits contenus dans le rapport. Un résumé des commentaires reçus figure la partie 5 du rapport..

Qui sont les parties concernées par la plainte?

Les plaignants sont une coalition de 28 organisations canadiennes dont la liste figure à l’annexe 1.

Levi Strauss & Co. (Canada) inc. (Levi Strauss) est une entreprise canadienne de vêtements. Levi Strauss a été constituée en vertu de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario, le 1er décembre 1982. Son siège social est situé au 200-1725-16th Avenue, à Richmond Hill, en Ontario.Note de bas de page 1

Quel est l’objet de la plainte?

Les plaignants allèguent que Levi Strauss entretient des relations commerciales avec une entreprise chinoise identifiée comme ayant recours au travail forcé des Ouïghours – Jiangsu Guotai Guosheng.

À l’appui de leur plainte, les plaignants invoquent le rapport intitulé Uyghurs for sale (en anglais seulement) de l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute), publié en mars 2020, et selon lequel Jiangsu Guotai Guosheng a recours au travail forcé des Ouïghours.Note de bas de page 2 Ce rapport fournit les renseignements suivants :

Jiangsu Guotai Guosheng Co.

Pour étayer leurs allégations, les plaignants s’appuient également sur le rapport intitulé Laundering Cotton (en anglais seulement), publié en novembre 2021 par le professeur Laura Murphy (le rapport Murphy), qui analyse et retrace les itinéraires de la chaîne d’approvisionnement de cinq entreprises textiles opérant au Xinjiang (Turkestan oriental) et qui fait état de liens entre Levi Strauss et le travail forcé des Ouïghours.Note de bas de page 4 Le rapport Murphy associe notamment les produits de Levi Strauss à trois sociétés chinoises : Jiangsu Lianfa Textile Co. Ltd, Huafu Fashion Co. Ltée. et Luthai Textile Co. Ltée, qui ont toutes recours au travail forcé ou en tirent profit.

Le rapport Murphy fournit les renseignements suivants :

Jiangsu Lianfa Textile Co. Ltd (Jiangsu)

Huafu Fashion Co. Ltd. (Huafu)

Luthai Textile Co. Ltd. (Luthai)

En outre, le plaignant s’appuie sur le rapport de Laura Murphy, Jim Vallette et Nyrola Elima, intitulé Built on Repression (en anglais seulement), publié en juin 2022 et selon lequel Xinjiang Zhongtai – une entreprise d’État de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang qui « participe très activement aux programmes de transfert de main-d’œuvre parrainés par l’État » [traduction] - est impliquée dans la fabrication de fils de coton et de fils synthétiques qui sont ensuite fournis, par l’intermédiaire d’une filiale, à de nombreux détaillants mondiaux, dont Levi Strauss.Note de bas de page 5

Le rapport fournit les renseignements suivants : Xinjiang Zhongtai (Zhongtai)

Les plaignants soulignent que Levi Strauss n’a pas répondu de manière satisfaisante à l’allégation de recours au travail forcé des Ouïghours à des stades antérieurs de sa chaîne d’approvisionnement. Ils affirment que rien n’indique que Levi Strauss ait pris des mesures pour s’assurer, au-delà de tout doute raisonnable, que le travail forcé n’est pas impliqué à ces stades. Selon les plaignants, la déclaration de Levi Strauss selon laquelle l’entreprise ne tolère aucun travail forcé, est directement contredite par les conclusions du rapport de l’ASPI, ainsi que par les conclusions des rapports susmentionnés de Laura Murphy. Les plaignants soutiennent en outre que, dans une lettre datée du 12 novembre 2021, ils ont demandé à Levi Strauss de faire preuve de la diligence nécessaire pour s’assurer, au-delà de tout doute raisonnable, que Levi Strauss ne bénéficie pas des atrocités commises contre les Ouïghours. Dans leur lettre du 12 novembre 2021, les plaignants ont également demandé à Levi Strauss de rompre ses relations avec Jiangsu Guotai Guosheng et de prendre des mesures raisonnables pour s’assurer qu’aucun de ses matériaux ne provient du Xinjiang (Turkestan oriental). Selon les plaignants, Levi Strauss n’a pas répondu à cette lettre.

Partie 1 – Résumé de l’étape de l’admission (ou de l’admissibilité)

  1. Le 20 juillet 2022, l’OCRE a conclu que la plainte était recevable en vertu de l’article 6.1 de ses Procédures opérationnelles compte tenu des renseignements fournis par les plaignants. Cela signifie que l’OCRE estime que les renseignements fournis par les plaignants étaient suffisants pour conclure de façon raisonnable que chacun des trois critères d’admissibilité applicables était respecté. Il y a peu de conditions à remplir pour qu’une plainte puisse être jugée recevable. Les critères utilisés pour déterminer la recevabilité d’une plainte sont les suivants :
    • Le motif de la plainte est une atteinte présumée à un droit de la personne reconnu à l’échelle internationale.
    • Les allégations d’atteinte aux droits de la personne découlent des activités à l’étranger d’une entreprise canadienne dans les secteurs du vêtement, des mines ou du pétrole et du gaz.
    • Le motif de la plainte aurait eu lieu après le 1ermai 2019y, ou, s’il a eu lieu avant le 1er mai 2019, il se poursuit au moment de la plainte. (Section 5.7, Procédures opérationnelles)
  2. La décision de l’OCRE a été communiquée aux plaignants le 27 juillet 2022.
  3. Le 29 juillet 2022, l’OCRE a envoyé un courriel à Levi Strauss pour l’informer de la décision prise. À l’époque, l’OCRE avait pour règle de demander des renseignements sur les politiques, les procédures et les pratiques de l’entreprise en matière de protection des renseignements personnels avant de communiquer les détails de la plainte. Or, Levi Strauss n’a pas fourni les renseignements demandés. Par la suite, l’OCRE a cessé de procéder ainsi, et une copie de la plainte a été transmise à Levi Strauss le 14 octobre 2022. La plainte est alors passée de la phase de réception à la phase d’évaluation initiale du processus de plainte. L’OCRE a également tenté à plusieurs reprises, sans succès, d’amener Levi Strauss à participer à une réunion d’évaluation initiale.

Partie 2 – Évaluation initiale

Renseignements généraux

  1. L’évaluation initiale est le processus consistant à déterminer la suite à donner dans le cas d’une plainte recevable, et notamment la façon de répondre aux objections éventuelles du défendeur (l’entreprise citée dans la plainte). L’OCRE ne prend pas de décision sur le bien‑fondé de la plainte à l’étape de l’évaluation initiale.
  2. Les objectifs du processus d’évaluation initiale sont les suivants :
    • Mieux comprendre les positions des parties en ce qui concerne les allégations, y compris les objections éventuelles du défendeur.
    • Commencer à cerner les besoins et les intérêts sous-jacents des parties.
    • Fournir des renseignements sur le rôle de l’OCRE et les différentes procédures de règlement des différends.
    • Collaborer avec les parties pour déterminer la procédure de règlement des différends la mieux adaptée pour résoudre les questions soulevées par la plainte, y compris les allégations et les objections éventuelles du défendeur.
  3. Au cours de l’évaluation initiale, l’OCRE rencontre les parties pour connaître leur point de vue sur les allégations, répondre à leurs préoccupations et questions et solliciter leur consentement à participer à un règlement rapide ou à un processus de médiation. Si les parties refusent de participer à un mécanisme consensuel de règlement des différends, l’OCRE décide de la suite à donner à la plainte, ce qui peut comprendre l’ouverture d’une enquête.

La procédure d’évaluation initiale dans le cadre de cette plainte

  1. Durant l’évaluation initiale de la présente plainte, l’OCRE a pris les mesures suivantes :
    1. Examen documentaire de la plainte.
    2. Réunion virtuelle d’évaluation initiale avec les représentants des plaignants, le 18 novembre 2022.
    3. Étude documentaire des rapports de recherche et des déclarations de l’entreprise.

Ce que les plaignants ont rapporté à l’OCRE

  1. Lors de la réunion d’évaluation initiale du 18 novembre 2022, les plaignants se sont dits disposés à participer à un règlement rapide ou à un processus de médiation et ont accepté de signer un accord de confidentialité. Les plaignants ont indiqué qu’ils étaient prêts à envisager un règlement général dans lequel l’identité de Levi Strauss serait gardée confidentielle et qui procurerait des solutions pour remédier à tout recours au travail forcé des Ouïghours et pour aider les entreprises canadiennes du secteur du vêtement à exercer comme il se doit une diligence raisonnable en matière de droits de la personne dans ce contexte à risque élevé. Les plaignants ont également indiqué que, compte tenu de la complexité de trouver l’origine des textiles, en particulier dans la région du Xinjiang, il était préférable d’utiliser une technologie de traçabilité des fibres pour répertorier tous les maillons de leurs chaînes d’approvisionnement, de la fibre à la vente au détail.

Tentatives de communication avec Levi Strauss

  1. Entre le 29 juillet et le 27 septembre 2022, l’OCRE a tenté à plusieurs reprises d’obtenir des copies des politiques de Levi Strauss en matière de protection des données.
  2. La plainte a été envoyée à Levi Strauss le 14 octobre 2022, à l’adresse de son siège social.
  3. Le 25 novembre 2022, une lettre recommandée invitant Levi Strauss à une réunion d’évaluation initiale a été envoyée à l’adresse de son siège social.
  4. Le 14 décembre 2022, une lettre indiquant que l’OCRE procéderait à l’évaluation initiale de la plainte et rédigerait un rapport d’évaluation initiale sans rencontrer Levi Strauss a été envoyée par la poste, au siège social de Levi Strauss.
  5. Le 19 décembre 2022, Levi Strauss a confirmé la réception de la lettre de l’OCRE du 14 décembre 2022 et a indiqué qu’elle examinerait la plainte.
  6. Le 21 décembre 2022, Levi Strauss a contacté l’OCRE pour obtenir des renseignements supplémentaires au sujet de la réunion d’évaluation initiale.
  7. Le 22 décembre 2022, l’OCRE a envoyé une lettre à Levi Strauss pour lui fournir des renseignements supplémentaires, pour lui expliquer l’objectif de la réunion d’évaluation initiale et pour inviter Levi Strauss à fournir une réponse à la plainte au plus tard le 20 janvier 2023.
  8. Le 11 janvier 2023, l’OCRE a envoyé un courriel de suivi réitérant l’objectif de la réunion d’évaluation initiale et invitant Levi Strauss à fournir une réponse à la plainte au plus tard le 20 janvier 2023.
  9. Le 19 janvier 2023, Levi Strauss a envoyé une lettre à l’OCRE pour lui indiquer que l’entreprise n’était pas en mesure de répondre ou d’accepter de participer à une réunion d’évaluation initiale avant la date limite du vendredi 20 janvier 2023.
  10. Le 17 février 2023, l’OCRE a envoyé une autre lettre indiquant qu’il procéderait à l’évaluation initiale de la plainte et qu’il donnerait à Levi Strauss la possibilité de commenter toute ébauche de rapport avant de le publier sur son site web.
  11. Le 22 février 2023, Levi Strauss a envoyé une lettre indiquant qu’elle était impatiente d’examiner l’ébauche de rapport d’évaluation initiale de l’OCRE lorsqu’il serait disponible et qu’elle ferait part de ses commentaires à ce moment-là.

    Compte tenu de ce qui précède, l’OCRE a décidé de procéder à l’évaluation initiale afin de respecter son calendrier indicatif pour l’achèvement du processus d’évaluation initiale.

 Partie 3 – Comment traiter la plainte

  1. L’ombudsman doit décider de la suite à donner à la plainte et peut :
    1. Fermer le dossier – L’ombudsman peut décider de ne pas donner suite à la plainte et fermer le dossier après avoir publié le présent rapport conformément au paragraphe 14(2) du Décret.
    2. Proposer une médiation aux parties – Avec l’accord des deux parties, l’ombudsman peut décider que la médiation est le processus consensuel de résolution des différends le plus approprié.
    3. Mener une enquête sur la base d’une recherche indépendante des faits – L’ombudsman peut décider d’enquêter sur la plainte en procédant à une recherche indépendante des faits, conformément à l’alinéa 7b) du Décret.
  2. Au moment de déterminer s’il y a lieu d’ouvrir une enquête, l’OCRE prend en considération le contexte général de la plainte et les facteurs pertinents, notamment la question de savoir si :
    1. La plainte est frivole ou vexatoire.
    2. La plainte est en cours d’examen ou a été examinée par une autre instance.
    3. L’entreprise canadienne a déjà fourni une réponse ou une réparation satisfaisante à l’égard des allégations formulées dans la plainte.
    4. Des renseignements pertinents sont susceptibles d’être disponibles.
    5. Une réparation efficace est susceptible d’être disponible.
    6. Une enquête est susceptible d’entraîner un risque inacceptable pour les plaignants ou pour d’autres personnes.
  3. La coopération de l’entreprise canadienne citée dans une plainte n’est pas déterminante pour établir si des renseignements pertinents sont susceptibles d’être disponibles. L’OCRE peut prendre en considération la disponibilité des renseignements provenant de toutes les sources raisonnablement accessibles. En outre, dans tout rapport final, l’OCRE peut faire des observations sur l’incidence de la coopération des parties sur la disponibilité des renseignements et d’autres aspects de l’enquête.
  4. Pour déterminer si une réparation acceptable ou efficace est vraisemblablement possible en l’espèce, l’OCRE évaluera la portée de l’enquête, c’est-à-dire les personnes qui seraient visées par l’enquête, les mesures correctives envisageables, ainsi que d’autres facteurs concurrents, notamment la capacité institutionnelle (ressources publiques), le bien-fondé d’une enquête publique et l’efficacité que pourrait avoir celle-ci.

Analyse

  1. À première vue, les allégations formulées par les plaignants soulèvent de sérieuses questions au sujet d’une atteinte possible à un droit de la personne reconnu à l’échelle internationale, à savoir le droit d’être à l’abri du travail forcé, dont il est question dans les instruments suivants :
    1. Droit de ne pas être tenu en esclavage ni en servitude (article 4, Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948)
    2. Droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail (paragraphe 23[1], Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948; voir aussi Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, 1976, article 6.1.
    3. Droit de ne pas être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire (articles 1 et 2, Convention de l’Organisation internationale du Travail sur le travail forcé, 1930 (No. 29), alinéa 8(3)a], Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1976 ; Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930).
    4. Interdiction du travail forcé ou obligatoire en tant que mesure de coercition politique ou mesure de discrimination raciale, sociale, nationale ou religieuse (article 1, Convention de l’Organisation internationale du Travail sur l’abolition du travail forcé, 1957 [No. 105]).
  2. La gravité des conséquences sur les droits de la personne du possible recours au travail forcé des Ouïghours est soulignée dans un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme publié en août 2022 (en anglais seulement). Ce rapport indique que des restrictions considérables, arbitraires et discriminatoires des droits de la personne et des libertés fondamentales ont été imposées aux Ouïghours et à d’autres communautés majoritairement musulmanes vivant au Xinjiang « en violation des lois et des normes internationales » et exhorte les États, les entreprises et la communauté internationale à prendre des mesures pour mettre un terme à ces mauvais traitements.
  3. Conscient de la gravité du recours possible au travail forcé des Ouïghours au Xinjiang, le gouvernement du Canada exige des entreprises canadiennes qui s’approvisionnement directement ou indirectement au Xinjiang ou auprès d’entités recourant à la main-d’œuvre ouïghoure, ou qui cherchent à mener des activités sur le marché du Xinjiang, qu’elles signent la Déclaration d’intégrité sur la conduite des affaires avec des entités du Xinjiang avant de recevoir des services et du soutien du Service des délégués commerciaux (SDC). De plus, le gouvernement du Canada s’est engagé, dans son budget de 2023, à réduire les vulnérabilités dans les chaînes d’approvisionnement et a signalé son intention de renforcer l’infrastructure de la chaîne d’approvisionnement du Canada en déplaçant les chaînes d’approvisionnement critiques de dictatures vers des démocraties.
  4. La plainte soulève des questions sur la diligence raisonnable de Levi Strauss. Les principes 14 et 17 (et les commentaires connexes) des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDF) indiquent que la diligence raisonnable en matière de droits de la personne dans les zones à haut risque comme la région du Xinjiang en Chine doit être adaptée en fonction de la nature et du contexte des activités de l’entreprise, des types de groupes vulnérables et de l’intensité et de la gravité des risques en matière de droits de la personne, et qu’une entreprise peut devoir adopter des mesures plus rigoureuses dans un contexte opérationnel à haut risque.
  5. Les Principes directeurs des Nations Unies fournissent également une orientation quant à la responsabilité des entreprises de faire preuve de transparence à l’égard de leurs activités de diligence raisonnable. Les entreprises dont les activités commerciales ou le contexte de fonctionnement présentent des risques d’incidences graves sur les droits de la personne doivent communiquer officiellement la façon dont elles cernent ces incidences graves et remédient à celles-ci (principe 21 des Principes directeurs et commentaire connexe, PDF). Lorsque des préoccupations sont exprimées par les intervenants concernés ou en leur nom, ou par d’autres parties intéressées, les entreprises doivent fournir des renseignements suffisants et veiller à ce que leurs rapports ou communications soient accessibles aux publics cibles.
  6. Comme il est indiqué précédemment, Levi Strauss n’a pas fourni de réponse à l’OCRE en ce qui concerne la plainte. Levi Strauss a déclaré qu’elle examinait la plainte et a indiqué qu’elle n’était pas en mesure de répondre à la plainte ou d’accepter une réunion d’évaluation initiale avant la date limite du vendredi 20 janvier 2023 (plus de trois mois après avoir reçu la plainte). Lorsque l’OCRE a indiqué son intention d’aller de l’avant, Levi Strauss a également indiqué qu’elle attendait avec impatience d’examiner l’ébauche de rapport d’évaluation initiale de l’OCRE lorsqu’il serait disponible et qu’elle ferait part de ses commentaires à ce moment-là.

    Compte tenu des renseignements contenus dans les rapports de l’ASPI et de Laura Murphy, qui établissent un lien entre Levi Strauss et des usines que les rapports désignent comme ayant recours au travail forcé des Ouïghours, il semble qu’une enquête soit nécessaire dans les circonstances. En effet, Levi Strauss n’a pas donné suite aux allégations contenues dans ces rapports. Levi Strauss n’a pas non plus fourni de détails quant à la nature et à la portée de son obligation de diligence raisonnable en matière de droits de la personne, notamment en ce qui concerne l’utilisation éventuelle d’une technologie de traçabilité des fibres. Une enquête peut, par exemple, porter sur l’existence de procédures de diligence raisonnable adoptées par Levi Strauss pour s’assurer que ses produits ne sont pas fabriqués en recourant au travail forcé des Ouïghours. De plus amples renseignements sont nécessaires pour déterminer si Levi Strauss respecte son obligation de diligence raisonnable rigoureuse requise dans un contexte à haut risque tel que la chaîne d’approvisionnement en coton, compte tenu de la proportion de coton provenant directement ou indirectement du Xinjiang.
  7. Si l’OCRE décide de mener une enquête sur la plainte, Levi Strauss aura en tout temps la possibilité d’y participer et de fournir des réponses, y compris des renseignements supplémentaires sur les mesures qu’elle a prises pour exercer une diligence raisonnable en matière de droits de la personne.
  8. Compte tenu du contexte plus large de la plainte et des difficultés à obtenir des renseignements dans le pays, une recherche indépendante des faits pourrait être limitée. La disponibilité des renseignements devra être évaluée au fur et à mesure du déroulement de l’enquête et elle sera prise en compte dans tout rapport final.
  9. La plainte ne nomme pas de particuliers et ne les rend pas identifiables, ce qui réduit la possibilité qu’une enquête augmente le risque pour ces derniers. Si l’OCRE décide de mener une enquête, une évaluation des risques sera effectuée tout au long de l’enquête.

Partie 4 – Participation au processus de plainte

  1. Comme il est indiqué ci-dessus, Levi Strauss n’a pas répondu à la plainte. L’entreprise a également déclaré qu’elle n’était pas en mesure de donner son assentiment à une réunion d’évaluation initiale avant la date limite du vendredi 20 janvier 2023. Le 22 février 2023, Levi Strauss a envoyé une lettre à l’OCRE pour lui indiquer qu’elle était impatiente d’examiner l’ébauche de rapport d’évaluation initiale lorsqu’il serait disponible et qu’elle ferait part de ses commentaires à ce moment-là.
  2. Selon les Procédures opérationnelles de l’OCRE, une participation active et pleine et entière au processus de plainte est un signe de bonne foi :

    L'article 11.1 exige que les parties participent pleinement au processus de plainte, notamment en fournissant à l’ombudsman les renseignements et les documents pertinents et en mettant les témoins à disposition dans un délai raisonnable, selon les délais établis par l’ombudsman.

    L'article 11.2 prévoit que si une entreprise canadienne ne participe pas activement au processus de traitement de la plainte, notamment en refusant de fournir des renseignements et des documents pertinents, l’ombudsman peut tirer les conclusions négatives qui s’imposent ou faire des inférences négatives durant la recherche des faits.

    L'article 12.4 prévoit que l'ombudsman peut déterminer qu'une partie n'agit pas de bonne foi si elle ne participe pas activement à un examen sans explication raisonnable.

  3. Compte tenu de la participation limitée de Levi Strauss jusqu’à présent dans le processus de plainte, l’ombudsman peut examiner la question de la participation de bonne foi à une étape ultérieure. L’ombudsman peut exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 10 du Décret et recommander à la ministre la mise en œuvre de mesures commerciales, à savoir l’une ou l’autre des mesures suivantes :
    1. le retrait de l’appui à la défense des intérêts commerciaux de l’entreprise canadienne par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (connu sous le nom d’Affaires mondiales Canada);
    2. le refus par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement d’appuyer à l’avenir la défense des intérêts commerciaux de l’entreprise canadienne;
    3. le refus par Exportation et développement Canada de soutenir financièrement l’entreprise canadienne à l’avenir.

Partie 5 – Observations de la part des parties

Observations des plaignants

  1. Le 19 juin 2023, les plaignants ont présenté leurs observations sur l’ébauche du rapport d’évaluation initiale. Les plaignants affirment que l’OCRE devrait mener une enquête sur la base d’une recherche indépendante des faits. Pour étayer leur affirmation, les plaignants invoquent les facteurs énoncés au paragraphe 21.
  2. Premièrement, les plaignants soutiennent que la plainte n’est ni frivole ni vexatoire. Les plaignants réitèrent les éléments de preuve fournis dans la plainte et affirment qu’une enquête est justifiée compte tenu de la gravité des questions en jeu et des preuves substantielles fournies par les rapports cités dans la plainte.
  3. Deuxièmement, les plaignants font remarquer que la plainte n’est pas en voie d’examen dans une autre instance et qu’elle ne l’a pas été par le passé.
  4. Troisièmement, les plaignants affirment que le fait que Levi Strauss nie s’approvisionner au Xinjiang est contredit par le rapport de l’ASPI et les résultats des recherches de Laura Murphy, et que Levi Strauss n’a pas apporté de réponse ou de solution satisfaisante aux allégations formulées dans la plainte.
  5. Les plaignants soutiennent que l’OCRE devrait considérer que Levi Strauss n’a pas agi de bonne foi conformément à l’article 12.4 des Procédures opérationnelles, en se fondant sur ce qui suit :
    1. Levi Strauss a refusé de participer au processus d’évaluation initiale de l’OCRE sans fournir d’explication raisonnable;
    2. Levi Strauss n’a pas répondu à la lettre des plaignants datée du 12 novembre 2021.
  6. Quatrièmement, les plaignants font valoir que les données pertinentes sont susceptibles d’être disponibles dans le domaine public, notamment par le biais des données d’importation, et que si les données disponibles présentent des lacunes parce que Levi Strauss continue à ne pas coopérer, l’OCRE peut en tirer des conclusions défavorables lors de l’établissement des faits. Les plaignants laissent entendre que la fermeture du dossier inciterait les entreprises canadiennes à ne pas coopérer avec l’OCRE à l’avenir.
  7. Cinquièmement, les plaignants notent que des recours efficaces sont disponibles puisque l’ombudsman peut recommander des mesures commerciales à la ministre du Commerce international et que de telles mesures encourageraient non seulement Levi Strauss, mais également toutes les entreprises canadiennes opérant à l’étranger à s’assurer qu’elles ne profitent pas du travail forcé des Ouïghours.
  8. Enfin, les plaignants font remarquer que la tenue d’une enquête n’est pas susceptible d’entraîner un risque inacceptable pour les plaignants ou pour d’autres personnes.

Observations de Levi Strauss

  1. Dans une lettre datée du 12 juin 2023, l’avocat de Levi Strauss a formulé les observations suivantes sur l’ébauche du rapport d’évaluation initiale :
    1. Engagement en faveur des droits de la personne et des droits du travail et interdiction du travail forcé: Conformément à ses engagements en matière de droits de la personne et de droits du travail et à son approche des affaires fondée sur les principes de rentabilité, Levi Strauss se préoccupe de la manière dont elle fabrique ses produits. Elle impose à ses fournisseurs des obligations décrites dans son Code de conduite des fournisseurs (le code) (en anglais seulement) et exige le renouvellement régulier de l’attestation de conformité au Code par les fournisseurs. Elle indique clairement à ses fournisseurs mondiaux qu’elle « ne peut accepter aucun matériau, y compris le coton, produit par le travail forcé ou géré par des entités impliquées dans le travail forcé ».
    2. Contrôle de la chaîne d’approvisionnement et divulgation publique des fournisseurs: Levi Strauss maintient une communication régulière avec ses fournisseurs afin de s’assurer qu’ils sont « responsables de leur propre personnel et de la fabrication » des produits de Levi Strauss. Levi Strauss procède également à des évaluations régulières et à des visites de suivi de ses sites de niveau 1 (sites de fabrication de produits) et de niveau 2 (usines de tissus), y compris des évaluations inopinées et « des discussions sur place et hors site avec les travailleurs, des entretiens avec la direction, l’examen des dossiers de l’usine (tels que les fiches de présence et les fiches de paie) et des inspections en matière de santé et de sécurité de l’environnement ». Chaque évaluation cerne des domaines d’amélioration et un plan d’action correctif détaillé, comprenant des actions, des parties responsables et des échéanciers ». L’entreprise effectue également des visites de suivi périodiques « pour s’assurer que les fournisseurs mettent en œuvre leurs plans d’action correctifs dans les délais impartis ». Levi Strauss examine en permanence toutes les relations avec ses fournisseurs « afin de déterminer si l’un d’entre eux, ou leurs sous-fournisseurs ou filiales, ont des liens avec le travail forcé ou la traite des personnes ». Cela inclut l’utilisation de diverses technologies dans le cadre de nos efforts de diligence raisonnable de la chaîne d’approvisionnement ». L’entreprise publie le nom de ses fournisseurs de niveau 1 et 2 sur Open Supply Hub.  
    3. Partenariat avec l’OIT: Levi Strauss travaille en partenariat avec le programme Better Work de l’OIT afin d’améliorer le respect des normes fondamentales du travail de l’OIT et de la législation nationale relative au travail forcé, à la rémunération, aux contrats, à la sécurité et à la santé au travail (SST), ainsi qu’aux heures de travail.
    4. Réponse aux allégations de la plainte: D’après un examen récent de ses relations avec les fournisseurs, l’entreprise n’a, à sa connaissance, aucune relation commerciale avec les cinq fournisseurs cités dans la plainte. Les allégations mentionnées dans l’ébauche de rapport d’évaluation initiale sont fondées « sur des données obsolètes et inexactes datant de 2017 à 2019 qui ont été incluses dans des rapports publiés en 2020 et 2021 ». Pour deux des fournisseurs cités, les allégations sont fondées sur le fait que les « fournisseurs déclarent eux‑mêmes » leur lien avec Levi Strauss à des fins de marketing et non sur « des faits ou une relation réelle ».

Partie 6 – Décision de l’OCRE

  1. Afin de donner suite aux allégations formulées dans la plainte, l’ombudsman a décidé de mener une enquête sur la base d’une recherche indépendante des faits. Pour prendre sa décision, l’ombudsman a pris en compte les facteurs mentionnés au paragraphe 21 du présent rapport et, en particulier, la question de savoir s’il existe des contradictions dans les renseignements actuellement disponibles qui justifient la tenue d’une enquête.
  2. L’ombudsman reconnaît que Levi Strauss nie les allégations contenues dans la plainte, souligne son engagement en faveur des droits de la personne et des droits du travail et de l’interdiction du travail forcé, et souligne ses efforts de diligence raisonnable dans la chaîne d’approvisionnement ainsi que son partenariat avec l’OIT. Il y a une contradiction dans les renseignements accessibles qui justifie une enquête de portée limitée. En particulier, l’affirmation de Levi Strauss selon laquelle les allégations concernant deux des fournisseurs énumérés sont fondées sur le fait que les « fournisseurs déclarent eux‑mêmes » leur lien avec Levi Strauss à des fins de marketing et non sur « des faits ou une relation réels » est contredite par les rapports de l’ASPI et de Laura Murphy. En outre, étant donné que Levi Strauss conteste l’exactitude des données figurant dans ces rapports, une enquête permettra d’évaluer la fiabilité des données.
  3. Même si l’accessibilité des renseignements pertinents pourrait être limitée en raison du contexte plus large de la plainte, l’ombudsman sollicitera l’aide d’enquêteurs spécialisés dans la recherche et l’analyse de données publiquement accessibles. Si les renseignements disponibles sont limités, ou si l’accès aux renseignements est restreint en fonction du degré de coopération de Levi Strauss, l’ombudsman peut indiquer dans le rapport d’enquête comment la disponibilité des renseignements influe sur sa capacité à tirer des conclusions.
  4. Au cours de l’enquête, Levi Strauss aura toujours la possibilité de fournir d’autres renseignements pertinents, y compris des renseignements concernant ses activités de diligence raisonnable en matière de droits de la personne.
  5. Pendant que l’OCRE procédera à une enquête sur la base d’une recherche indépendante des faits, la médiation demeurera possible à n’importe quelle étape du processus de plainte, à la discrétion de l’OCRE et avec l’accord des parties. L’OCRE encourage les parties à envisager une médiation, en tenant compte du fait que ce processus se déroule en toute confidentialité, notamment en ce qui concerne les renseignements sur le plan commercial.

Annexe-1

Les plaignants : une coalition de 28 organisations

  1. Canadians in Support of Refugees in Dire Need (CSRDN)
  2. Alliance Canada Hong Kong
  3. Anatolia Islamic Centre
  4. Canada Tibet Committee
  5. Canadians Against Oppression & Persecution
  6. Conseil canadien des femmes musulmanes (CCFM)
  7. Conseil canadien des imams (CCI)
  8. Canadian Security Research Group
  9. Canada-Hong Kong Link
  10. Doctors for Humanity
  11. East Turkistan Association of Canada
  12. End Transplant Abuse in China (ETAC)
  13. Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne, Université d’Ottawa
  14. Human Concern International (HCI)
  15. Cercle islamique d’Amérique du Nord (ICNA)
  16. Société islamique d’Amérique du Nord (ISNA)
  17. Justice for All
  18. Lawyers for Humanity
  19. Association musulmane Canada (MAC)
  20. Conseil national des musulmans canadiens (CNMC)
  21. Raoul Wallenberg Centre for Human Rights
  22. Share 2 Care (S2C)
  23. Stop Uyghur Genocide Canada
  24. Toronto Association for Democracy in China
  25. Union of Medical care and Relief Organizations-Canada (UOSSM)
  26. Uyghur Refugee Relief Fund
  27. Uyghur Rights Advocacy Project
  28. Vancouver Society in Support of Democratic Movement
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