Rapport final : La plainte déposée par le Syndicat des Métallos et le Congrès du travail du Canada au sujet des activités de la Société Canadian Tire Limitée et de Mark’s Work Wearhouse Limited, connue sous le nom de L’Équipeur au Québec
Pays : Bangladesh
Numéro de dossier : 220835
Date de réception de la plainte : 21 novembre 2022
Date de publication du rapport : décembre 2024
Table des matières
- Partie 1 – Contexte
- Partie 2 – Introduction
- Partie 3 – Salaire vital : le manque de consensus international et les travaux en cours de l’Organisation internationale du Travail
- Partie 4 – Attentes du Canada en matière de conduite responsable des entreprises et le salaire vital
- Partie 5 – Problèmes de transparence soulevés dans la plainte
- Partie 6 – Recommandations
- Annexe – Commentaires des parties
Partie 1 – Contexte
À propos de l’ombudsman du Canada de la responsabilité des entreprises
L’ombudsman du Canada de la responsabilité des entreprises (OCRE) est un mécanisme de règlement des différends relatifs aux entreprises et aux droits de la personne, mis en place par le gouvernement du Canada. Toute personne peut déposer une plainte auprès de l’OCRE concernant d’éventuelles atteintes aux droits de la personne résultant des activités des entreprises canadiennes à l’étranger dans les secteurs du vêtement, minier ou pétrolier et gazier.
Pour de plus amples renseignements, consultez À propos de l’OCRE.
Quel est l’objectif de ce rapport?
L’OCRE présente un rapport final concernant une plainte déposée par le Syndicat des Métallos et le Congrès du travail du Canada, le 21 novembre 2022, concernant les activités de la Société Canadian Tire Limitée et de Mark’s Work Wearhouse Limited (connue sous le nom de L’Équipeur au Québec).
Conformément à l’article 16 du décret en conseil de l’OCRE, les parties ont eu la possibilité de commenter les faits contenus dans le rapport. Les commentaires reçus figurent à l’annexe du rapport.
Qui sont les parties concernées par la plainte?
Les parties plaignantes sont les suivantes :
- le Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes (Syndicat des Métallos);
- le Congrès du travail du Canada (CTC).
Le répondant est Mark’s Work Wearhouse Limited, aussi connue sous le nom de L’Équipeur au Québec (Mark’s/L’Équipeur). Il s’agit d’une entreprise canadienne de vêtement. Mark’s/L’Équipeur est une filiale à part entière de la Société Canadian Tire Limitée (Canadian Tire). Canadian Tire est une société constituée en Ontario, dont le siège social est situé à Toronto.
Quel est l’objet de la plainte?
Les parties plaignantes allèguent que Mark’s/L’Équipeur fait affaire avec des fournisseurs et/ou des usines de sa chaîne d’approvisionnement au Bangladesh dont les travailleurs, principalement des femmes, ne reçoivent pas un salaire vitalNote de bas de page 1.
Partie 2 – Introduction
- Le 14 mars 2024, l’ombudsman de l’époque a partagé un rapport d’évaluation initiale auprès du Syndicat des Métallos et du Congrès du travail du Canada (les parties plaignantes) et de Mark’s/L’Équipeur (le répondant). Le rapport d’évaluation initiale indique que l’OCRE a prévu de procéder à une recherche indépendante des faits sur le paiement d’un salaire vital aux employés des fournisseurs locaux du répondant dans le secteur du prêt-à-porter au Bangladesh, où le répondant s’approvisionne.
- Des retards techniques ont empêché la publication du rapport d’évaluation initiale le 14 mars 2024. Il sera publié sur le site Web de l’OCRE en même temps que le rapport final.
- J’ai commencé mon rôle en tant qu’ombudsman par intérim le 21 mai 2024. Étant donné que cette plainte avait été reçue en novembre 2022 (il y a près de 2 ans), j’ai entrepris un examen approfondi de ce dossier en priorité. J’ai recueilli de manière indépendante des renseignements au sujet des problèmes de salaire vital, y compris les pratiques du gouvernement du Canada et l’état d’avancement des discussions concernant l’opérationnalisation du salaire vital de l’Organisation internationale du Travail (OIT). J’ai également consulté des directives sur le salaire vital, formulées dans les principales lignes directrices sur la conduite responsable des entreprises, y compris les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies (Principes directeurs des Nations Unies) et les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques à l’intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises (Principes directeurs de l’OCDE), ainsi que d’autres instruments internationaux pertinents sur les droits de la personne.
- Dans le cadre de mon processus de recherche des faits, j’ai rencontré les parties plaignantes le 17 juillet et le 23 septembre 2024, et le répondant, le 15 août ainsi que les 9 et 16 septembre 2024, afin de mieux comprendre les allégations soulevées par les parties plaignantes et les mesures entreprises par le répondant relativement à ses pratiques et ses politiques au Bangladesh.
- À la lumière des renseignements recueillis et des développements internationaux récents concernant le salaire vital, j’ai décidé de conclure ce processus et de publier ce rapport final.
Partie 3 – Salaire vital : le manque de consensus international et les travaux en cours de l’Organisation internationale du Travail
- Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) sont les principaux instruments internationaux reconnus en matière de droits de la personne qui fournissent des orientations relatives au salaire vital. Bien que ces instruments existent depuis plusieurs années, je suis d’avis que le contenu et l’opérationnalisation de l’obligation de fournir un salaire vital demeurent non résolus en droit international au moment de la publication du présent rapport.
- L’article 7 du PIDESC indique que les États parties « reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment : a) La rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs : i) Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie que les conditions de travail qui leur sont accordées ne sont pas inférieures à celles dont bénéficient les hommes et recevoir la même rémunération qu’eux pour un même travail; ii) Une existence décente pour eux et leur famille conformément aux dispositions du présent PacteNote de bas de page 2».
- L’article 23 (paragraphe 3) de la DUDH reconnaît le « […] droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui [l’employé] assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine […]Note de bas de page 3».
- Dans le rapport d’évaluation initiale, le répondant a soulevé la question sur l’état de l’obligation de fournir un salaire vital. On note dans le rapport d’évaluation initiale qu’il « pourrait être souhaitable d’élaborer une liste de critères permettant de définir un salaire décent au Bangladesh aux fins de la présente plainte » (paragraphe 41).
- Selon mes recherches des faits, je suis arrivé à la conclusion qu’il existe d’autres organisations, telles que l’OIT, qui disposent de l’expertise, des ressources, du mandat et de l’envergure nécessaires pour entreprendre ce travail important plutôt que l’OCRE.
- En ce qui concerne les travaux en cours de l’OIT, le rapport d’évaluation initiale a été écrit approximativement au même moment que la publication du Rapport de la Réunion d’experts sur les politiques salariales, y compris le salaire vital du groupe d’experts mis sur pied par l’OITNote de bas de page 4.
- Le rapport des experts de l’OIT repose sur un document d’information du Bureau de l’OIT qui présente un sondage relativement exhaustif des initiatives volontaires de salaire vital existantes, dont certaines sont réalisées par les organisations mentionnées par les parties plaignantesNote de bas de page 5. Ce document du Bureau de l’OIT note les similitudes et les différences entre les différentes initiatives.
- S’appuyant sur leurs recherches et leurs expertises, les experts ont formulé une définition du salaire vital et ont établi un processus pour déterminer le salaire vital en fonction de chaque contexte.
- Par la suite, ce rapport a été présenté au Conseil d’administration de l’OIT, qui a pris une décision le 13 mars 2024 prenant note des conclusions de la Réunion d’expertsNote de bas de page 6. Les conclusions du rapport demandent au directeur général de l’OIT d’allouer des ressources suffisantes à cette question et de tenir compte des conseils concernant les futures activités de l’OIT relatives aux politiques salariales, y compris le salaire vital, et de présenter un rapport de mise en œuvre à l’automne 2025Note de bas de page 7.
- Donc, qu’est-ce que cela me révèle? Que la question du salaire vital et la façon de le déterminer sont encore en cours d’examen par l’OIT, le principal organisme international d’établissement de normes du travail.
- Par conséquent, je ne peux pas dire qu’au moment de la plainte ou même aujourd’hui, qu’il existe un consensus international définitif sur ce qui constitue un salaire vital et sur la manière de le déterminer et de l’opérationnaliser. Par conséquent, je ne sais pas quelle norme je dois utiliser pour évaluer le comportement du répondant ou de toute autre entreprise en ce qui concerne le salaire vital. À mon avis, choisir l’un des nombreux processus volontaires serait arbitraire, car aucun ne fait autorité.
- L’OIT a déjà entrepris un travail et des recherches considérables sur la question du salaire vital, et ces travaux se poursuivent encore aujourd’hui. Ainsi, il n’est pas clair sur quelle base l’OCRE examinerait cette question et les critères relatifs au Bangladesh. Selon moi, un tel recours risque de dupliquer le travail de l’OIT. De plus, en raison de sa nature tripartite et de ses 187 États membres, dont des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, ainsi que le groupe d’experts se penchant déjà sur la question, l’OIT a une portée et une approche globale qui dépassent celles de l’OCRE.
- Dans la mesure où les experts de l’OIT ont défini un processus, ils ont indiqué que tout processus nécessite l’appui national et devrait être le résultat de négociations tripartites entre le gouvernement, les entreprises et la main-d’œuvre. À mon avis, il serait donc inapproprié qu’une tierce partie étrangère, comme l’OCRE, détermine ce qui représente un salaire vital au Bangladesh et les critères à utiliser pour évaluer si une entreprise a contribué à une atteinte aux droits de la personne.
- Je crois également que si l’OCRE effectue ce travail, il irait à l’encontre de l’interdiction d’établir une nouvelle norme relative à la conduite responsable des entreprises conformément au décret en conseil de l’OCRE.
- Comme je l’ai noté précédemment, le rapport des experts de l’OIT n’était pas disponible au moment de la rédaction du rapport d’évaluation initiale. Maintenant que j’ai eu le temps d’examiner les conclusions des experts et les engagements de l’OIT, il me paraît évident que l’OIT est l’organisme approprié pour développer l’opérationnalisation du salaire vital et ainsi obtenir un consensus international. En attendant la conclusion de cette affaire, je ne suis pas en mesure d’évaluer le rendement d’une seule société d’achat concernant les salaires versés par ses fournisseurs par rapport à un salaire vital.
- Ma conclusion est davantage confirmée par les points présentés dans les sections suivantes.
Partie 4 – Attentes du Canada en matière de conduite responsable des entreprises et le salaire vital
- La conduite responsable des entreprises concerne les attentes de la population canadienne et du gouvernement du Canada à l’égard des entreprises canadiennes qui exercent des activités à l’étranger. Bien que le gouvernement du Canada ait mis en place une stratégie sur la conduite responsable des entreprises pour toutes les entreprises canadiennes qui exercent des activités à l’étranger depuis 2022, la stratégie ne fait aucune mention du salaire vital. En raison de l’absence de définition et d’opérationnalisation du salaire vital, surtout en 2022, lorsque la plainte a été déposée devant l’OCRE, les attentes en matière de salaire vital à l’égard des entreprises canadiennes qui importent des biens de fournisseurs étrangers ne sont pas clairs. J’ai pu confirmer que le Haut-commissariat du Canada au Bangladesh ne donne aucun conseil à ce sujet aux entreprises canadiennes. J’ai également confirmé qu’à l’échelle nationale, le gouvernement du Canada n’oblige pas les entreprises à payer un salaire vital, mais seulement à payer le salaire minimum obligatoire. En effet, le gouvernement du Canada n’utilise pas le terme « salaire vital » au Canada, car il ne s’aligne pas ni ne contredit explicitement les politiques canadiennes en matière de salaire, de revenu et d’assistance sociale.
- Comment les entreprises canadiennes devraient-elles alors déterminer si les fournisseurs étrangers respectent une norme que le gouvernement canadien n’utilise pas et pour laquelle il ne fournit pas de conseils? Compte tenu de ce qui précède, je crois qu’il serait injuste d’évaluer le rendement d’une entreprise canadienne en lien avec le salaire vital de manière rétroactive ou de caractériser l’incapacité de s’assurer que les fournisseurs étrangers paient un salaire non spécifié comme étant une atteinte aux droits de la personne.
- Cela ne vise pas à minimiser l’importance du salaire vital ni l’importance pour les entreprises canadiennes de mener une diligence raisonnable et d’évaluer les conditions de travail des employés dans les installations à l’étranger d’où elles se procurent des biens.
- Les entreprises canadiennes doivent également être conscientes des attentes de plus en plus élevées des consommateurs ainsi que du développement international en ce qui concerne les salaires équitables et vitaux. Les travaux de l’OIT se poursuivent et pourraient mener à une norme et une opérationnalisation convenues à l’international. Afin d’atteindre plus rapidement les progrès vers les objectifs de développement durable, et en particulier l’Objectif 8, Travail Décent et Croissance Économique, le Pacte mondial des Nations Unies a lancé l’initiative Forward Faster Initiative par laquelle il cherche à obtenir l’engagement des organisations pour que 100 % des employés d’une organisation gagnent un salaire vital d’ici 2030, et que les organisations établissent un plan d’action conjoint avec les sous-traitants, les partenaires de la chaîne d’approvisionnement et d’autres parties prenantes clés pour travailler à l’obtention de salaires vitaux et/ou de revenus vitaux avec des étapes mesurables et limitées dans le temps. À l’approche de 2030, d’autres d’initiatives sont à prévoir pour définir et opérationnaliser le concept de salaire vital.
Partie 5 – Problèmes de transparence soulevés dans la plainte
- Le rapport d’évaluation initiale a mentionné plusieurs problèmes de transparence qui ont été soulevés par les parties plaignantes, notamment la divulgation publique des informations relatives à la liste des fournisseurs en lien avec la chaîne d’approvisionnement du répondant, conformément aux exigences du Transparency Pledge. Les parties plaignantes ont également signalé des préoccupations selon lesquelles des avantages non monétaires n’étaient offerts que le jour de l’audit.
- À travers mes multiples échanges avec le répondant, j’ai noté les actions et les engagements suivants pris par ce dernier :
- Le répondant a mis sa liste de fournisseurs à la disposition du public.
- Conformément au projet de loi S-211, la Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes, le répondant a rempli ses obligations en matière de déclaration en publiant un rapport détaillant les mesures prises pour prévenir et réduire le risque d’utilisation du travail forcé ou du travail des enfants dans sa chaîne d’approvisionnement.
- Le répondant a confirmé qu’il envisage activement de compiler et de publier les renseignements exigés dans le cadre du Transparency Pledge dans l’ensemble de ses entreprises.
- Le répondant a pris des mesures pour mettre à jour son Code d’éthique professionnelle à l’intention des fournisseurs et s’est engagé à publier un code révisé dans les 6 prochains mois.
- Le répondant a indiqué qu’il réalise des audits de ses fournisseurs au Bangladesh en utilisant des normes d’audit mondiales reconnues, y compris amfori BSCI, SA8000, WRAP et SEDEX, par des auditeurs tiers certifiés avant d’émettre un bon de commande, et à des fréquences régulières par la suite.
- Le répondant a indiqué que, selon les dernières données à sa disposition, les usines de son fournisseur au Bangladesh versent à leurs travailleurs un salaire environ 10 % supérieur à ceux d’autres usines de prêt-à-porter du Bangladesh.
- Le répondant a répondu à l’allégation selon laquelle il travaillerait avec des fournisseurs qui n’offrent des avantages sociaux que pour la journée d’audits. Le répondant a démontré à l’OCRE qu’il réalise des audits ponctuels avec des suivis périodiques et qu’il se sert d’un système de notation pour assurer le suivi et traiter des sujets de préoccupation. De plus, il a mis en place des outils pour surveiller les conditions ainsi que des mécanismes de présentation de plaintes pour les travailleurs.
- Le répondant a indiqué qu’en tant que membre fondateur de Nirapon, une organisation à but non lucratif dirigée par ses membres, il soutient et promeut une culture de sécurité au travail au Bangladesh. Nirapon collabore avec plus de 300 usines pour fournir des ressources, des outils et des conseils par le biais de partenariats qui améliorent la sécurité des usines. Il finance également Amader Kotha, une ligne d’assistance anonyme qui permet aux travailleurs de signaler les risques/problèmes de santé et de sécurité, et il surveille et examine activement les plaintes associées à tous ses partenaires commerciaux.
- Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis qu’en ce qui concerne la présente plainte, aucun suivi supplémentaire de la part du répondant n’est nécessaire.
Partie 6 – Recommandations
Ministre de la Promotion des exportations, du Commerce international et du Développement économique
- En raison de l’importance et de la complexité de la question de salaire vital, l’OCRE recommande à la ministre de la Promotion des exportations, du Commerce international et du Développement économique d’ordonner au ministère d’entreprendre un examen des conseils que les délégués commerciaux fournissent aux entreprises canadiennes qui exercent des activités à l’étranger dans le secteur du vêtement en ce qui concerne le paiement de salaires adéquats qui permettent de réellement lutter contre la pauvreté, l’insécurité et les inégalités.
- Autres recommandations pour la ministre :
- Que le gouvernement du Canada continue de participer activement aux discussions de forums internationaux, comme celles tenues à l’OIT, en ce qui concerne la définition et l’opérationnalisation du concept de salaire vital.
- Que le gouvernement du Canada envisage la formation d’un groupe de travail composé d’entreprises canadiennes, de représentants de la société civile et de ministères gouvernementaux concernés afin de déterminer les meilleures pratiques en matière de chaînes d’approvisionnement et d’approvisionnement éthique en ce qui concerne les salaires adéquats pour guider les entreprises canadiennes qui exercent des activités et s’approvisionnent à l’étranger.
Entreprises canadiennes qui s’approvisionnent à l’étranger
- Recommandations supplémentaires pour les entreprises canadiennes qui s’approvisionnent à l’étranger :
- Toutes les entreprises canadiennes qui exercent des activités à l’étranger devraient connaître les attentes du gouvernement du Canada en matière de conduite responsable des entreprises, y compris celles qui sont présentées dans la stratégie du Canada sur la conduite responsable des entreprises à l’étranger, les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises et les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies. En ce qui concerne les meilleures pratiques, les entreprises pourraient également envisager d’appliquer des lignes directrices et des textes spécifiques, comme la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale et l’Engagement sur la transparence.
- Le cas échéant, les entreprises canadiennes doivent se conformer aux obligations de déclaration en vertu de la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes.
- Les entreprises canadiennes sont encouragées à divulguer et publier leur liste de fournisseurs, ainsi qu’à mettre en place un code de conduite pour les fournisseurs, en veillant à le mettre à jour régulièrement afin de suivre les meilleures pratiques internationales.
- Les entreprises devraient donner la priorité à un leadership de haut niveau et créer une culture engagée en faveur d’une conduite responsable des entreprises, notamment en ce qui concerne les conditions décentes de travail et les méthodes d’approvisionnement responsables.
Annexe – Commentaires des parties
Les commentaires des parties plaignantes sont joints ci-dessous. Aucun commentaire n'a été reçu de la part du répondant.
Avertissement : La version française des commentaires des parties plaignantes est une traduction de l'original, qui a été soumis à l’OCRE en anglais. En cas de divergence, l'original anglais prévaudra.
Observations du Syndicat des Métallos et du Congrès du travail du Canada
Les plaignants dans ce dossier, soit le Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes (Syndicat des Métallos) et le Congrès du travail du Canada (ci-après appelés collectivement les « plaignants »), présentent les observations suivantes sur le rapport final du Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE), transmis aux plaignants le 2 octobre 2024. Dans son rapport final, l’OCRE conclut qu’il n’enquêtera pas sur les questions soulevées dans la plainte, y compris celle de savoir si Mark’s Work Wearhouse Ltd., soit Canadian Tire (ci-après la « partie répondante »), a recours à des fournisseurs qui versent un salaire vital aux travailleurs.
Contexte de la plainte
Le 21 novembre 2022, les plaignants ont déposé une plainte auprès de l’OCRE, alléguant que la partie répondante avait recours à des usines au Bangladesh qui versent aux travailleurs un salaire inférieur au salaire vital. Les plaignants arguaient que le droit à un salaire vital est protégé par les instruments internationaux de droits de la personne qui forment la base du mandat de l’OCRE. Dans la plainte, les plaignants ont présenté trois seuils de salaire vital appliqués au Bangladesh, qui variaient selon leurs hypothèses fondamentales et leur calcul. Se basant sur des données d’expédition publiques et des données obtenues d’une organisation non gouvernementale qui sonde les travailleurs du vêtement au Bangladesh à propos de leur salaire, les plaignants ont allégué qu’il semblait que les travailleurs des usines auxquelles avait recours la partie répondante recevaient un salaire bien en deçu des seuils de salaire vital.
Les plaignants sont depuis longtemps solidaires des travailleurs au Bangladesh. Selon la Confédération syndicale internationale, le Bangladesh figure parmi les 10 pires pays pour les travailleurs. Notamment, dans les dernières années, les travailleurs ont subi une intense répression de l’État, y compris de violentes confrontations avec la tristement célèbre police industrielle, de l’intimidation, du harcèlement et des meurtres, en tentant de faire avancer leurs droits. Les efforts de syndicalisation sont entravés et, par conséquent, les travailleurs n’ont aucun moyen de participer aux processus industriels démocratiques légitimes pour négocier des salaires et des conditions de travail équitables.
En décembre 2023, après plusieurs semaines de manifestations sur le salaire, le salaire minimum des travailleurs du vêtement au Bangladesh a été établi à 12 500 takas bangladais (BDT) par mois, soit environ 113 $ CA. Les manifestations se sont poursuivies puisque cette augmentation était totalement insuffisante pour couvrir les coûts de base de la vie et pour sortir les travailleurs de la pauvreté.
Au moment du dépôt de la plainte, les plaignants craignaient qu’il n’y ait pas suffisamment de garanties pour la protection des intervenants bangladais dans le processus de traitement de plainte. Pour cette raison, le Syndicat des Métallos et le Congrès du travail du Canada se sont fait le visage officiel de la plainte, évitant délibérément de mentionner tout intervenant bangladais, comme les syndicats indépendants et les fédérations de travailleurs du vêtement, par crainte de représailles. Durant les deux années où l’OCRE traitait la plainte, la situation au Bangladesh est demeurée tendue pour les travailleurs du prêt-à-porter, surtout ceux militant pour leurs droits.
Les salaires dans les usines de vêtements n’ont fait que stagner, malgré les taux d’inflation élevés.
Les plaignants ont déposé la plainte en solidarité avec leurs partenaires au Bangladesh, espérant que l’OCRE enquêterait sur les atteintes possibles aux droits de la personne dans la chaîne d’approvisionnement de la partie répondante. Alors qu’il avait d’emblée accepté d’enquêter sur les allégations contenues dans la plainte, l’OCRE a finalement tourné bride dans son rapport final, indiquant qu’aucune enquête n’aurait lieu.
Les plaignants sont d’avis que le rapport final comporte plusieurs lacunes, qui sont présentées en détail ci-dessous.
Chronologie de la plainte
Le processus de traitement de la plainte de l’OCRE s’est avéré long, durant près de deux ans à partir du dépôt de la plainte jusqu’à la réception du rapport final. Les étapes suivantes ont été entreprises dans cette période :
- Le 21 novembre 2022, les plaignants ont déposé la plainte.
- Le 16 décembre 2022, l’OCRE a informé les plaignants par courriel que la plainte était admissible et les a invités à prendre part à une réunion d’évaluation initiale avec l’ombudsman.
- Le 10 février 2023, les plaignants ont assisté à la réunion d’évaluation initiale avec l’ombudsman pour discuter de la plainte et des options de règlement possibles. L’ombudsman et les plaignants ont aussi parlé de la possibilité de demander à la partie répondante de produire certains documents.
- Le 1ermai 2023, l’OCRE a écrit aux plaignants pour les aviser que Canadian Tire n’avait fourni aucun des renseignements et des documents demandés par les plaignants. En fait, Canadian Tire avait soulevé la question de la participation de bonne foi et avait demandé à l’OCRE de décider si les plaignants participaient au processus de bonne foi. La lettre mentionnait également que l’OCRE procéderait à la rédaction d’un rapport d’évaluation initiale.
- Le 19 juillet 2023, l’OCRE a fait parvenir aux parties un rapport provisoire d’évaluation initiale, leur demandant leur rétroaction. Les commentaires comprenaient une réponse à l’allégation de la partie répondante comme quoi les plaignants participaient aux processus de l’OCRE de mauvaise foi.
- Le 28 août 2023, les plaignants ont transmis des commentaires détaillés sur le rapport provisoire.
- Le 14 mars 2024, environ 222 jours ouvrables après que l’OCRE a initialement indiqué qu’il publierait un rapport d’évaluation initiale, et 138 jours après que les plaignants ont fourni des commentaires sur le rapport provisoire, les plaignants ont reçu un rapport d’évaluation initiale mentionnant que l’OCRE lancerait une enquête sur les allégations des plaignants et qu’il avait conclu que les plaignants ne participaient pas aux processus de mauvaise foi. Dans sa lettre d’accompagnement du rapport d’évaluation initiale, l’OCRE a précisé que la date prévue de publication du rapport était le 28 mars 2024 et que les parties seraient avisées trois jours ouvrables avant la publication.
- L’évaluation initiale n’a jamais été publiée. Entre mars et juillet 2024, les plaignants ont régulièrement fait des suivis auprès de l’OCRE concernant l’avancement de l’évaluation initiale et le début prévu de l’enquête.
- Le 17 juillet 2024, les plaignants ont enfin rencontré Masud Husain, l’ombudsman par intérim, au sujet de la plainte.
- Le 23 septembre 2024, les plaignants ont tenu une autre réunion avec M. Husain, qui leur a dit qu’il prévoyait de publier un rapport final sur la plainte sans enquêter davantage sur l’affaire.
- Le 2 octobre 2024, les plaignants ont reçu le rapport final. L’OCRE a rejeté la plainte sans mener d’enquête complète ni de recherche des faits indépendante.
Le délai de traitement de la plainte a eu un effet réel sur l’aptitude des plaignants à défendre les droits des travailleurs concernés par la plainte. Lors de la réunion d’évaluation initiale en février 2023, l’ombudsman a demandé aux plaignants de préserver la confidentialité des processus de l’OCRE afin de participer de bonne foi. Ainsi, les plaignants ont agi avec extrême prudence dans leur travail de défense des droits des travailleurs au Bangladesh afin de participer de bonne foi aux processus de l’OCRE. Mentionnons que le délai excessif des processus de l’OCRE a nui aux activités des plaignants pour défendre les droits des travailleurs du vêtement au Bangladesh. Qui plus est, les procédures opérationnelles de l’OCRE ne mentionnent pas précisément les éléments des processus qui sont confidentiels ni les balises de confidentialité à respecter afin de pouvoir participer de bonne foi. Ces lacunes ont fait peser une incertitude sur le processus.
Observations sur le rapport final
Les plaignants contestent les conclusions du rapport final et formulent les observations suivantes à l’intention de l’OCRE. Notamment, le rapport final reflète une vision étroite de la compétence de l’OCRE pour enquêter sur les atteintes aux droits de la personne commises par des entreprises canadiennes à l’étranger. L’OCRE a été créé afin de tenir les entreprises du secteur du vêtement et des secteurs minier ou pétrolier et gazier responsables d’atteintes aux droits de la personne à l’étranger dans leur chaîne d’approvisionnement. Cela dit, l’approche de l’OCRE décrite dans le rapport final irait à l’encontre de ce mandat au point de rendre le bureau inutile.
1. Consensus international entourant le salaire vital et le travail de l’Organisation internationale du Travail
Dans son rapport final, l’OCRE souligne que d’autres organisations, dont l’Organisation internationale du Travail (OIT), détiennent l’expertise et le mandat pour étudier la question du salaire vital et que l’OIT s’emploie actuellement à cette tâche. Il conclut également qu’il n’existe aucun consensus sur la définition d’un salaire vital (voir le paragraphe 16). Il est parvenu à la conclusion que l’OCRE n’est pas « en mesure d’évaluer le rendement d’une seule société d’achat concernant les salaires versés par ses fournisseurs par rapport à un salaire vital » (paragraphe 20).
Déterminer un salaire vital est une affaire complexe. Néanmoins, la complexité d’un droit de la personne ne devrait pas empêcher l’OCRE d’enquêter sur l’atteinte à ce droit. L’OCRE a été créé pour enquêter sur les plaintes formulées contre les entreprises canadiennes œuvrant à l’étranger. Par la nature même du bureau, les plaintes portent toutes sur des entités internationales et des situations complexes sur le plan des faits et de la légalité. D’ailleurs, dans son rapport d’évaluation initiale sur la même plainte, l’OCRE soutient que le « niveau de complexité d’un droit de la personne n’est pas un facteur permettant de déterminer la compétence de l’OCRE dans l’examen d’une plainte » (voir l’évaluation initiale, point b, paragraphe 109).
En outre, si l’OIT est un acteur important des droits internationaux en matière de main-d’œuvre et d’emploi, le décret en conseil (le « décret ») ayant donné naissance à l’OCRE ne mentionne aucunement que l’OCRE peut laisser la responsabilité d’une affaire à l’OIT ou à d’autres corps dirigeants. Le travail de l’OIT ne lie pas l’OCRE, et le fait que l’OIT étudie la question de salaire vital à l’échelle mondiale n’empêche pas l’OCRE d’enquêter sur la plainte.
2. Établissement d’une nouvelle norme en matière de droits de la personne
Dans son rapport final, l’OCRE écrit ce qui suit (paragraphe 19) :
Je crois également que si l’OCRE effectue ce travail, il irait à l’encontre de l’interdiction d’établir une nouvelle norme relative à la conduite responsable des entreprises conformément au décret en conseil de l’OCRE.
Les plaignants réfutent cette assertion. Rappelons que le droit à un salaire vital est un concept profondément ancré dans les instruments internationaux de droits de la personne qui constituent la pierre angulaire du mandat de l’OCRE. De surcroît, dans une décision antérieure, l’OCRE a déterminé qu’enquêter sur la plainte ne créerait pas une nouvelle norme.
Le mandat de l’OCRE est établi par le décret 2019-1323Note de bas de page 8. C’est ce dernier qui a fondé l’OCRE, et il s’agit du document qui accorde la compétence et les pouvoirs à l’OCRE.
L’article 5 du décret se lit comme suit :
5 Dans l’accomplissement de son mandat, l’ombudsman est guidé par les Principes directeurs des Nations Unies et les Principes directeurs de l’OCDE.
L’article 6, quant à lui, précise [traduction] :
6 Dans l’accomplissement de son mandat, l’ombudsman n’établit aucune nouvelle norme relative à la conduite responsable des entreprisesNote de bas de page 9.
Notamment, l’article 5 mentionne les Principes directeurs des Nations Unies et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), que le décret définit ainsi :
Principes directeurs de l’OCDE : Les Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales de l’Organisation de coopération et de développement économiques. (OECD Guidelines)
Principes directeurs des Nations Unies : Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies. (UN Guiding Principles)
Enfin, l’atteinte aux droits de la personne est décrite ainsi [traduction] :
Atteinte aux droits de la personne : Répercussions négatives sur les droits de la personne reconnus internationalement et contenus notamment dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui découlent des activités d’une entreprise canadienne à l’étranger. (human rights abuse)
Au total, le décret mentionne cinq instruments internationaux régissant les droits de la personne internationaux. Aux fins de cette plainte, les plaignants prennent appui sur les quatre instruments internationaux de droits de la personne suivants :
- Déclaration universelle des droits de l’homme;
- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels;
- Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (« Principes directeurs des Nations Unies »);
- Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales (« Principes directeurs de l’OCDE»).
Dans la plainte, les plaignants expliquent en quoi chacun des instruments de droits de la personne ci-dessus s’applique à la plainte et crée une obligation en matière de droits de la personne pour veiller à ce que les travailleurs d’une chaîne d’approvisionnement reçoivent un salaire vital.
Dans son rapport d’évaluation initiale, l’OCRE était d’accord avec les plaignants. Il a conclu que le droit à un salaire vital est un droit de la personne reconnu internationalement conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme et, conséquemment, que l’enquête sur la plainte relevait du mandat de l’OCRE :
Selon l’alinéa 4c) du décret, le mandat de l’ombudsman est « d’examiner toute plainte déposée […] comportant une allégation concernant une atteinte aux droits de la personne […] ». La définition d’une « atteinte aux droits de la personne », selon le paragraphe 1(1) du décret, signifie des « répercussions négatives sur les droits de la personne reconnus internationalement et contenus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui découlent des activités d’une entreprise canadienne à l’étranger » (passage non souligné dans l’original). Comme cela est indiqué au paragraphe 33, le droit à un salaire décent est un droit de la personne reconnu internationalement dans les articles 23, 24 et 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), et dans les articles 7 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
En outre, conformément à l’article 5 du décret, l’ombudsman est guidé par les Principes directeurs des Nations Unies et les Principes directeurs de l’OCDE. Aux paragraphes 45 et 46, l’OCRE fait référence aux articles 11, 12 et 13 des Principes directeurs des Nations Unies concernant la responsabilité des entreprises en matière de respect des droits de la personne, ainsi qu’au Chapitre IV des principes directeurs de l’OCDE. Par conséquent, l’examen d’une plainte faisant état d’une violation présumée du droit de la personne à un salaire décent par une entreprise canadienne relève bien du mandat et de la compétence de l’OCRE en vertu du décret. Le niveau de complexité d’un droit de la personne n’est pas un facteur permettant de déterminer la compétence de l’OCRE dans l’examen d’une plainte. En outre, l’examen d’une plainte pour violation présumée d’un droit de la personne n’équivaut pas à la création d’une nouvelle norme concernant l’entreprise responsable (paragraphes 109a) et b) de l’évaluation initiale).
Soulignons que dans son rapport final, l’OCRE contredit directement sa conclusion dans l’évaluation initiale, sans fournir de raisons pour lesquelles sa conclusion a changé.
3. Nouvelle exigence d’« appui national »
Dans le rapport final, l’OCRE semble indiquer qu’il ne peut enquêter sur une plainte sans l’appui national du pays où l’entreprise canadienne œuvre. En effet, on peut lire au paragraphe 18 :
Dans la mesure où les experts de l’OIT ont défini un processus, ils ont indiqué que tout processus nécessite l’appui national et devrait être le résultat de négociations tripartites entre le gouvernement, les entreprises et la main-d’œuvre. À mon avis, il serait donc inapproprié qu’une tierce partie étrangère, comme l’OCRE, détermine ce qui représente un salaire vital au Bangladesh et les critères à utiliser pour évaluer si une entreprise a contribué à une atteinte aux droits de la personne.
En toute déférence, la conclusion de l’OCRE concernant l’appui national ne représente pas fidèlement son propre rôle ni le rôle des instruments internationaux de droits de la personne.
Les Principes directeurs de l’OCDE, qui constituent la pierre angulaire du mandat de l’OCRE, indiquent clairement qu’une entreprise se doit de respecter les normes en matière de droits de la personne, sans égard aux lois nationales où elle œuvre. Même si une entreprise transnationale mène en principe ses activités conformément aux lois nationales (p. ex., en s’assurant que les usines de sa chaîne d’approvisionnement versent un salaire minimum aux travailleurs), cela ne la dispense pas de sa responsabilité de prévenir les atteintes aux droits de la personne dans sa chaîne d’approvisionnement :
- Le chapeau et le premier paragraphe disposent que les États ont le devoir de protéger les droits humains, et que les entreprises, quels que soient leurs taille, secteur d’activité, contexte opérationnel, structure de propriété et organisation, devraient respecter les droits humains partout où elles exercent leurs activités. Le respect des droits humains est la norme mondiale de conduite attendue des entreprises, indépendamment de la capacité et/ou de la volonté des États de satisfaire à leurs obligations en la matière, et ne saurait atténuer ces obligations.
- Le fait qu’un État n’applique pas sa législation nationale pertinente ou ne respecte pas ses obligations internationales en matière de droits humains, ou qu’il puisse enfreindre cette législation ou ces obligations internationales est sans effet sur la responsabilité des entreprises de respecter les droits humains. Dans les États où les lois et règlements nationaux sont contraires aux droits humains internationalement reconnus, les entreprises devraient rechercher les moyens de les respecter le plus possible sans violer la législation nationale, conformément au paragraphe 2 du chapitre consacré aux concepts et principes. [c’est nous qui soulignons]
Si l’OCRE refuse de mener des enquêtes sur les entreprises canadiennes œuvrant à l’étranger par crainte d’imposer des normes en matière de droits de la personne dans d’autres pays, alors ce bureau devient complètement inutile. À la lecture de son mandat, il devient alors difficile de savoir sur quelles atteintes aux droits de la personne l’OCRE pourrait faire enquête.
4. Absence de salaire vital obligatoire au Canada
L’OCRE avance que le gouvernement du Canada n’utilise pas de salaire vital et n’a aucune ligne directrice à ce sujet et que, par conséquent, il serait inapproprié d’enquêter sur une plainte concernant le versement par une partie répondante d’un salaire vital à l’étranger.
En toute déférence, les mesures du gouvernement du Canada n’ont rien à voir avec l’analyse de l’OCRE. Rien dans le décret n’indique que l’OCRE ne devrait appliquer que des normes en matière de droits de la personne auxquelles le gouvernement du Canada s’est déjà conformé ou qu’il reconnaît. En revanche, le décret mentionne les instruments de droits de la personne qui établissent des normes à l’échelle internationale. Le fait que les entreprises respectent ou non les normes en matière de droits de la personne au Canada n’a pas de lien avec le mandat de l’OCRE d’enquêter sur la plainte à l’égard des activités de Canadian Tire au Bangladesh.
5. Problèmes de transparence
L’OCRE a indiqué qu’il avait rencontré Canadian Tire trois fois en août et en septembre 2024 et que la partie répondante avait pris diverses mesures en faveur de la transparence de sa chaîne d’approvisionnement, notamment la publication d’une liste des usines de ses fournisseurs.
Si la publication d’une liste des usines avec lesquelles la partie répondante fait affaire à l’étranger est une première étape importante, ce n’est pas l’objectif ultime de la plainte. En fait, cette liste faciliterait grandement la réalisation d’une enquête approfondie sur la question du salaire vital. Or, l’OCRE semble satisfait de considérer la transparence comme l’objectif ultime plutôt que comme une première étape dans l’application des droits de la personne internationaux.
Nombre des autres mesures que la partie répondante affirme avoir prises constituent des publications et des engagements sur la question du travail des enfants, du travail forcé et de la sécurité au travail. Quoiqu’il s’agisse de problèmes importants en milieu de travail, ils n’ont rien à voir avec la question au cœur de la plainte : celle de savoir si les travailleurs reçoivent un salaire vital. À ce stade, d’autres mesures de la partie répondante ne sont que des aspirations, notamment celle de songer activement à « compiler et publier les renseignements exigés dans le cadre de l’Engagement sur la transparence dans l’ensemble de ses entreprises ». Ces mesures n’ont pas encore été prises.
Conclusion
Les syndicats et les alliés de la société civile au Canada sont déterminés à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs du vêtement au Bangladesh. Près de deux ans après l’amorce de ce processus, il convient de souligner que les travailleurs du vêtement au cœur de cette plainte (la majorité étant des femmes) risquent toujours d’être victimes d’atteintes aux droits de la personne en se voyant refuser un salaire vital, comme l’expose la plainte. Les femmes et les hommes qui fabriquent des vêtements dans des usines semblables à celles qu’utilise la partie répondante travaillent six jours par semaine, à raison de 10 à 12 heures par jour, mais gagnent un salaire si maigre qu’il leur est impossible d’échapper à la pauvreté, peu importe l’énergie qu’ils mettent dans leur travail.
Même s’il s’agit là d’une tendance à l’échelle du secteur, la partie répondante est un leader du marché, et elle détient les ressources nécessaires pour être un leader mondial des droits de la personne et montrer un meilleur exemple au sein de l’industrie en ce qui a trait au salaire vital. Les plaignants se réjouissaient à l’idée de collaborer avec l’OCRE afin d’atteindre des résultats dans cette affaire susceptible de créer un précédent pour les travailleurs au Bangladesh qui fabriquent des vêtements vendus aux consommateurs canadiens.
Les plaignants sont donc déçus que l’OCRE ait changé de cap depuis l’évaluation initiale et qu’il ait refusé de mener une enquête juste sur les questions mentionnées dans la plainte. Notamment, la plainte souligne le problème criant des travailleurs au Bangladesh qui reçoivent un salaire de misère en fabriquant des vêtements pour une entreprise canadienne populaire et très prospère.
Dans son évaluation initiale, l’OCRE a indiqué qu’il enquêterait sur la plainte. Pourtant, c’est une intention bien différente qui transparaît dans le rapport final. L’OCRE interprète son mandat énoncé dans le décret de façon si restrictive qu’il est difficile de concevoir le type d’atteintes aux droits de la personne sur lesquelles il aurait la compétence de faire enquête.
Cependant, si l’OCRE avait finalement mené l’enquête, les prochaines étapes seraient nébuleuses compte tenu de l’absence de pouvoirs indépendants d’obliger des personnes à témoigner et à produire des documents. L’expérience des plaignants ne fait que renforcer l’avis de plusieurs acteurs de la société civile selon lequel l’OCRE devrait obtenir l’indépendance et les pouvoirs requis pour forcer des personnes à témoigner et à produire des documents, des pouvoirs qui lui sont essentiels s’il veut être en mesure de bien remplir sa mission.
Sincères salutations,
Le Syndicat des Métallos et le Congrès du travail du Canada
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