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Indépendance de l’ombudsman et principes de Venise

Rapport commandé par l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises

Auteur : Chris Gill (Ph. D.)

Le 24 mai 2023

Table des matières

Sommaire

Principales conclusions

Le présent rapport fournit une série d’indicateurs d’indépendance, basés sur les Principes de Venise du Conseil de l’Europe et d’autres normes élaborées pour les institutions d'ombudsman, et les utilise pour évaluer le statut, les dispositions institutionnelles, le mandat et les pouvoirs de l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE).

Les deux principales conclusions du rapport sont les suivantes :

Ces conclusions sommaires contredisent la difficulté sous-jacente de l’évaluation de l’OCRE par rapport aux normes internationales sur la fonction d’ombudsman : ces normes ont été élaborées pour des ombudsmans ayant une compétence gouvernementale, et non pour un ombudsman, tel que l’OCRE, qui a une juridiction sur des acteurs privés. L’OCRE est le premier ombudsman au monde qui a la juridiction pour recevoir les plaintes de ressortissants étrangers concernant les actions d’acteurs privés menant des activités à l’étranger.

En fin de compte, le rapport conclut que les normes élaborées pour s’appliquer aux ombudsmans de la fonction publique, tels que les Principes de Venise, devraient également s’appliquer à l’OCRE. Le rapport reconnaît toutefois qu’il existe des divergences raisonnables en ce qui concerne le degré d’indépendance de l’OCRE par rapport au gouvernement du Canada et les pouvoirs dont il a besoin pour s’acquitter de son mandat.

Outre les deux conclusions principales soulignées ci-dessus, le rapport conclut que le statut, les dispositions institutionnelles, le mandat et les pouvoirs de l’OCRE doivent être améliorés pour répondre aux pratiques exemplaires internationales. Par exemple, le rapport conclut que des améliorations sont nécessaires et doivent être apportées aux dispositions relatives à la nomination, au mandat et à la révocation de l’OCRE, à la durée de son mandat, à sa capacité à nommer des conseillers de manière indépendante, à son immunité contre les poursuites judiciaires et à sa capacité à faire appliquer les réponses qui font suite à ses recommandations.

Le présent rapport se limite à examiner les questions de principe et à évaluer les domaines dans lesquels l’OCRE pourrait être renforcé sur la base des Principes de Venise et d’autres normes internationales en matière de fonction d’ombudsman. Le rapport ne va pas jusqu’à formuler des recommandations sur la manière dont ces principes devraient être mis en œuvre dans le droit canadien – il appartiendra à l’OCRE et à d’autres parties prenantes de faire avancer le dossier avec des experts juridiques nationaux si la mise en œuvre des recommandations de ce rapport est envisagée.

Il convient également de noter que le présent rapport ne comporte pas d’évaluation de l’OCRE au regard des normes en matière de droits de la personne telles que les Principes directeurs des Nations Unies sur l’entreprise et les droits de l’homme. Cette évaluation fait l’objet d’un rapport d’expert indépendant distinct.

Résumé des recommandations

Recommandation 1

L’OCRE devrait être établi indépendamment du pouvoir exécutif, en tant qu’institution d’ombudsman totalement indépendant, plutôt qu’à titre de conseiller spécial auprès de la ministre.

Recommandation 2

L’OCRE devrait être établi par une législation primaire, de manière à lui assurer un certain degré d’enracinement, à le protéger de l’ingérence du pouvoir exécutif et à lui permettre l’adoption de dispositions concernant ses pouvoirs et son immunité.

Recommandation 3

La législation primaire pour l’OCRE (conformément à ce qui est mis de l’avant dans la recommandation 2 ci-dessus) devrait contenir des dispositions qui garantissent l’indépendance complète de l’ombudsman. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’assurer un lien étroit entre l’ombudsman et le pouvoir législatif (par exemple en faisant de l’ombudsman un agent du Parlement). Lors de l’élaboration d’une nouvelle législation concernant l’OCRE, il conviendrait de procéder à une analyse comparative afin de s’assurer que le niveau de rémunération de l’OCRE est conforme à celui d’autres ombudsmans canadiens (ou de commissaires ou d’agents du Parlement similaires) et qu’il est suffisant pour que le titulaire du poste soit perçu comme étant de « haut rang » au sein du système gouvernemental canadien.

Recommandation 4

L’OCRE devrait être nommé par le Parlement du Canada (le Parlement) et lui rendre des comptes.

Recommandation 5

Le mandat de l’OCRE devrait être d’une durée fixe de sept ans, non renouvelable ou renouvelable une seule fois.

Recommandation 6

Les motifs pour lesquels l’OCRE peut être révoqué devraient être précisés dans la loi, en veillant à ce que le seuil de révocation soit élevé et les motifs limités.

Recommandation 7

La révocation de l’OCRE devrait être du ressort du Parlement, à la suite d’un vote démontrant une majorité parlementaire en faveur de la révocation.

Recommandation 8

Le processus d’établissement du budget de l’OCRE et ses décisions concernant la manière dont ce budget est dépensé devraient être indépendants du gouvernement du Canada. Le Parlement devrait se voir confier le rôle d’approuver et de superviser le budget de l’OCRE.

Recommandation 9

Le mandat législatif de l’OCRE devrait inclure des dispositions exigeant que le budget de l’OCRE soit fixé à un niveau adéquat pour lui permettre de s’acquitter de ses fonctions.

Recommandation 10

L’adéquation permanente du budget alloué à l’OCRE pour l’exécution de son mandat devrait faire l’objet d’un examen régulier par un comité compétent du Parlement.

Recommandation 11

L’OCRE devrait avoir le droit de demander des conseils juridiques à un prestataire de services juridiques de son choix.

Recommandation 12

L’OCRE devrait bénéficier d’une immunité de juridiction pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions.

Recommandation 13

L’OCRE devrait être doté de pouvoirs juridiques ayant force exécutoires lui permettant d’exiger la production de preuves.

Recommandation 14

L’OCRE devrait obtenir le pouvoir juridique à force exécutoire pour exiger que ses recommandations soient suivies d’effet dans un délai donné.

À propos de l’auteur

Chris Gill est consultant indépendant et maître de conférences en droit public à l’Université de Glasgow. Il mène régulièrement des activités de conseil et de recherche, et il a déjà travaillé pour le Conseil de l’Europe, le Legal Services Board, le Business Banking Resolution Service, Utilities Disputes Ltd (Nouvelle-Zélande), le Parliamentary and Health Services Ombudsman, Citizens Advice et le Legal Ombudsman. Avant d’entreprendre sa carrière universitaire, M. Gill a travaillé dans les services d’ombudsman et de réglementation de l’Advertising Standards Authority et l’ombudsman des services publics écossais. Il est membre de l’Ombudsman Association’s Validation Committee, du comité des consommateurs de la Scottish Legal Complaints Commission et du comité universitaire de l’Administrative Justice Council. Son expertise en recherche porte sur l’accès à la justice, la justice administrative, l’institution de l’ombudsman et les systèmes de traitement des plaintes. Il compte de nombreuses publications dans ces domaines. Pour plus d’informations, voir le profil de Chris Gill (Pd.D.) sur le site de la University of Glasgow

Terminologie et abréviations

Il n’existe pas encore de consensus sur l’utilisation d’un langage neutre dans ce domaine.Note de bas de page 1 Dans le présent rapport, le terme « ombudsman » est utilisé, quel que soit le genre de la personne concernée. Toutefois, lorsqu’il est fait référence à une loi en particulier ou au nom d’un ombudsman en particulier, le rapport utilise le titre officiel de l’organisation, même si ce titre n’est pas neutre du point de vue du genre.

Abréviation

Les points de référence du gouvernement de l’Australie
Il s’agit des Benchmarks and Key Practices for Industry Based Customer Alternative Dispute Resolution du gouvernement de l’Australie
Entreprises canadiennes 
Entreprises canadiennes menant des activités dans les secteurs du vêtement, de l’exploitation minière, du pétrole et du gaz
OCRE
Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises
IIO
Institut international de l’Ombudsman
Règlements de l’IIO
Les règles qui régissent les membres de l’Institut international de l’Ombudsman
Le rapport McIsaac  
Avis juridique demandé par Affaires mondiales Canada à Barbara McIsaac K.C.
Lignes directrices de l’OCDE
Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales
Ombudsman Association (OA)
Il s’agit de l’association des ombudsmans du Royaume-Uni, de l’Irlande et des territoires britanniques d’outre-mer
Modalités de l’OA
Les modalités de l’Ombudsman Association
Décret 1 
Décret 2019-0300 portant nomination de l’actuel titulaire du poste d’OCRE
Décret 2 
Décret 2019-1323 établissant le mandat et les pouvoirs de l’OCRE
Les Procédures opérationnelles
Procédures opérationnelles du Mécanisme de responsabilisation des droits de la personne de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE)
Le Parlement
Le Parlement du Canada
Les lignes directrices régissant les activités politiques
Lignes directrices régissant les activités politiques des titulaires de charge publique 
Le projet de loi d’initiative parlementaire 
Le projet de loi C-263, Loi établissant le bureau du commissaire à la conduite responsable des entreprises à l’étranger et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois
Commission de Venise
Commission européenne pour la démocratie par le droit
Principes de Venise
Avis no 897/2017 Principes sur la protection et la promotion de l’institution de l’ombudsman
Principes directeurs des Nations Unies
Les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme
La résolution de l’ONU
Résolution 75/186 de l’Assemblée générale des Nations Unies intitulée Le rôle des institutions des ombudsmans et des médiateurs dans la promotion et la protection des droits humains, de la bonne gouvernance et de l’état de droit
Le groupe de travail des Nations Unies 
Le Groupe de travail du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises sur sa mission au Canada

1. Introduction

Le présent rapport a été commandé par l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE). L’objectif du présent rapport est de définir les indicateurs d’indépendance de l’institution de l’ombudsman, y compris l’avis no 897/2017 de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) du Conseil de l’Europe sur les Principes sur la protection et la promotion de l’institution de l’ombudsman (les Principes de Venise), et d’évaluer le statut, les dispositions institutionnelles, le mandat et les pouvoirs de l’OCRE à la lumière de ces indicateurs.

Le mandat de l’OCRE est le suivant :

L’OCRE est un ombudsman unique en son genre au niveau international. C’est la première fois qu’une institution d' ombudsman est créée et qu’elle a compétence pour enquêter sur des plaintes concernant des violations des droits de la personne commises par des entreprises menant des activités à l’étranger. Si quelques rares ombudsmans en matière de droits de la personne ont pour mandat de traiter les plaintes concernant des acteurs privés en plus des acteurs gouvernementaux, la norme veut que les ombudsmans en matière de droits de la personne soient limités à une juridiction publique.Note de bas de page 3 Comme l’a reconnu l’avis juridique fourni par Barbara McIsaac K.C. à Affaires mondiales Canada (le rapport McIsaac), l’OCRE ne s’inscrit pas dans les modèles d’ombudsman établis.Note de bas de page 4

Le caractère inédit de l’OCRE pose un défi en ce qui concerne les fonctions suivantes :

Le présent rapport a été commandé en partant du principe que les normes internationales applicables aux ombudsmans des services publics (c’est-à-dire les ombudsmans ayant compétence sur les organismes publics et les acteurs privés fournissant des services essentiels) s’appliquent à l’OCRE. Cependant, les Principes de Venise, comme l’indique clairement le principe 13, s’appliquent aux ombudsmans ayant un mandat qui « s’étend à l’administration publique à tous les niveaux. Le mandat de l’ombudsman couvre tous les services d’intérêt général délivrés au public, qu’ils soient fournis par l’État, les municipalités, des organismes étatiques ou des organismes privés ».

Il n’existe actuellement aucune norme internationale qui s’applique aux ombudsmans ayant compétence sur les acteurs du secteur privé. Lorsqu’il existe des normes nationales (comme au Royaume-Uni et en Australie), celles-ci suggèrent que des critères précis sont nécessaires pour les ombudsmans ayant compétence sur le secteur privé. Toutefois, ces normes ont été élaborées pour réglementer les ombudsmans du secteur privé qui interviennent dans le cadre du droit de la consommation pour apporter une solution indépendante aux plaintes des clients d’une entreprise (ou parfois de son personnel). Ce contexte est manifestement très différent du mandat en matière de droits de la personne confié à l’OCRE.

L’OCRE se trouve donc entre deux chaises : il n’est ni un ombudsman classique des droits de la personne avec juridiction sur les organismes de l’État, ni un ombudsman typique du secteur privé. En règle générale, les normes d’indépendance et d’efficacité sont plus élevées pour le premier que pour le second. Dans le même temps, il n’est pas évident – sans enquête ni analyse – que toutes les normes applicables aux ombudsmans ayant juridiction sur un État s’appliquent de la même manière à l’OCRE.

Par exemple, l’OCRE doit-il être indépendant du gouvernement ou seulement des entreprises sur lesquelles il est chargé d’enquêter? L’OCRE nécessite-t-il le pouvoir d’imposer légalement la présentation de preuves (comme dans le cas des ombudsmans du secteur public) ou d’autres mécanismes visant à garantir une coopération acceptable (comme c’est plus souvent le cas pour les ombudsmans du secteur privé)?

Des personnes raisonnables peuvent arriver à des conclusions différentes sur ces questions, et les conclusions et recommandations de ce rapport doivent être lues à la lumière de cela : les normes actuelles de l’ombudsman ne fournissent pas de réponse sans équivoque en ce qui concerne le degré exact d’indépendance requis pour l’OCRE, ni en ce qui concerne les méthodes particulières par lesquelles il faut s’assurer de la collaboration à ses enquêtes.

Cela dit, la conclusion générale du rapport est que le contexte particulier dans lequel l’OCRE mène ses activités et s’acquitte de son mandat en matière de droits de la personne suggère que l’OCRE devrait être établi selon les normes les plus hautes d’indépendance et d’efficacité et que le modèle classique d’ombudsman de la fonction publique (y compris les modèles qui comportent un volet de droits de la personne)Note de bas de page 5 constitue le meilleur guide pour la conception de l’OCRE.

Pour parvenir à ce point de vue, le rapport estime qu’en mettant en place un mécanisme de réclamation non judiciaire pour le règlement des atteintes aux droits de la personne commises par les entreprises canadiennes sous la forme d’un ombudsman (plutôt qu’un autre mécanisme de traitement des plaintes), le gouvernement du Canada s’est effectivement engagé à adopter les normes les plus élevées en matière de mécanisme indépendant de résolution des plaintes. Le titre « ombudsman » est généralement considéré comme synonyme de protection de ces normes et considéré comme une forme différente des mécanismes de résolution des plaintes qui sont plus faibles en termes d’indépendance, de statut et de pouvoirs.

En se prononçant sur les exigences applicables à l’OCRE, il est également nécessaire de tenir compte du précédent international que constitue la création d’un ombudsman chargé de traiter les plaintes relatives aux entreprises et aux droits de la personne. L’OCRE sera probablement le point de départ d’une discussion entre d’autres nations qui envisagent d’améliorer les recours disponibles pour les violations des droits de la personne commises par des entreprises nationales menant des activités à l’étranger, et il est donc particulièrement nécessaire de veiller à ce que le modèle adopté par l’OCRE soit axé sur les pratiques exemplaires disponibles à l’échelle internationale.

  1. Objectifs du rapport

Les objectifs de recherche suivants ont été fixés par l’OCRE au moment de commander la présente recherche :

  1. Recherche et analyse concernant les indices d’indépendance de l’institution de l’ombudsman, y compris ceux découlant des Principes de Venise;
  2. Évaluation de l’indépendance de l’OCRE, compte tenu de son statut et de ses arrangements institutionnels, de son mandat et de ses pouvoirs;
  3. Options et recommandations visant à renforcer l’indépendance de l’OCRE, y compris d’éventuelles modifications de son décret.
  4. Méthodologie et limites

Le présent rapport est fondé sur des recherches documentaires et des analyses. Il s’agit notamment d’une analyse des Principes de Venise et d’une série d’autres normes internationales et nationales (voir section 5 ci-dessous). En outre, la recherche comprenait une analyse des travaux de recherche pertinents et d’autres commentaires sur l’indépendance et l’institution d’ombudsman.

Des recherches sur Internet ont permis d’accéder à des informations publiques sur l’OCRE, sa création, son mandat, ses pouvoirs et son fonctionnement à ce jour. En outre, l’OCRE a fourni, sur demande, une série de documents pour soutenir le processus de recherche. Il s’agit notamment de documents relatifs à ce qui suit :

L’OCRE a également fourni des réponses utiles aux demandes d’éclaircissement au cours de la recherche.

L’approche adoptée dans ce rapport se limite à l’examen de l’indépendance de droit et non de fait de l’OCRE. Une évaluation de ce dernier point nécessiterait une méthodologie empirique plutôt que documentaire. Cette évaluation serait également prématurée, étant donné que l’OCRE ne fonctionne que depuis très peu de temps et qu’il n’a commencé à recevoir des plaintes que récemment.

La recherche ne comporte pas non plus de comparaison détaillée de l’OCRE avec d’autres institutions fédérales et provinciales de fonction d’ombudsman au Canada. Le présent rapport ne fournit pas non plus de commentaires détaillés sur la position de l’OCRE dans le système juridique national du Canada. Les recommandations du présent rapport se limitent à examiner si et comment, en principe, des changements doivent être apportés à l’OCRE pour répondre aux normes internationales en matière de fonction d’ombudsman, en particulier les Principes de Venise.

Les recommandations ne comportent donc pas de suggestions sur la manière dont ces changements devraient se manifester dans le droit canadien. À cet égard, le projet de loi modèle du Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises, le rapport McIsaac et le projet de loi C-263 récemment publié, intitulé « Loi établissant le Bureau du commissaire à la conduite responsable des entreprises à l’étranger et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois » (le projet de loi d’initiative parlementaire) fournissent tous des suggestions précises quant à la forme et au contenu de la loi.

2. Questions préliminaires

2.1 Note sur les Principes de Venise

L’objectif principal du rapport est d’évaluer l’OCRE par rapport aux exigences des Principes de Venise (PDF). Bien que l’on s’appuie sur une série d’autres normes (voir la section 5 plus loin), les Principes de Venise constituent les normes internationales les plus prescriptives et les plus exigeantes en matière de fonction d’ombudsman, et il est donc important d’expliquer leur contexte, leur portée et leur effet.

Les Principes de Venise sont publiés par le Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe est une organisation internationale établie à Strasbourg qui a été créée en 1949 et qui regroupe aujourd’hui 46 pays européens, dans le but de promouvoir la démocratie, les droits de la personne et l’État de droit.

Le Canada a obtenu le statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe en 1996.Note de bas de page 6 Le statut d’observateur est régi par la Résolution statutaire no (93) 26 relative au statut d’observateur, et qui s’applique à tout État « qui est prêt à accepter les principes de la démocratie et de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales et qui est désireux de coopérer avec le Conseil de l’Europe ».

Le Canada est membre de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe.Note de bas de page 7 La Commission de Venise est l’organe consultatif du Conseil de l’Europe pour les questions constitutionnelles. Son rôle est de fournir des conseils juridiques à ses États membres, de les aider à mettre leurs pratiques en conformité avec les normes européennes et internationales et de constituer un patrimoine constitutionnel commun.

Les Principes de Venise – officiellement l’Avis no 897/2017 Principes sur la protection et la promotion de l’institution de l’ombudsman – ont été adoptés par la Commission de Venise les 15 et 16 mars 2019 et entérinés par le Comité des ministres le 2 mai 2019.Note de bas de page 8 Les principes n’ont pas de caractère obligatoire et, en tant qu’avis, ont été comparés à une forme de « droit souple ».Note de bas de page 9 Le gouvernement du Canada a le statut d’État observateur du Conseil de l’Europe et de membre de la Commission de Venise; les Principes lui fournissent donc des orientations non contraignantes.

Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, les Principes de Venise visent à protéger et à promouvoir les institutions de médiation ayant compétence sur l’administration publique (ou les prestataires de « services d’intérêt général »). Le principe 13 prévoit, entre autres, que : « La compétence institutionnelle de l’Ombudsman s’étend à l’administration publique à tous les niveaux. Le mandat de l’Ombudsman couvre tous les services d’intérêt général délivrés au public, qu’ils soient fournis par l’État, les municipalités, des organismes étatiques ou des organismes privés ».

Ainsi, si les Principes de Venise font autorité en matière de normes applicables aux institutions d’ombudsman, ils ne sont pas adaptés aux institutions d’ombudsman dont le mandat vise les actions des acteurs du secteur privé. De même, d’autres normes internationales relatives à l’institution d’ombudsman s’adressent aux ombudsmans publics, par exemple la résolution 75/186 de l’Assemblée générale des Nations-Unies sur le rôle des institutions des ombudsmans et des médiateurs dans la promotion et la protection des droits humains, de la bonne gouvernance et de l’état de droit, et le « Standard international de l’ombudsman » des Statuts de l’Institut international de l’ombudsman (IIO).

Il s’agit d’un point important, car on ne peut pas simplement supposer que les normes élaborées pour les institutions d’ombudsman de la fonction publique s’appliquent directement dans d’autres contextes. À cet égard, d’autres normes internationales et relatives aux droits de la personne, telles que les Principes directeurs des Nations Unies sur l’entreprise et les droits de l’homme et les Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales, fournissent des orientations sur les méthodes de réclamation qui sont plus adaptées au contexte.Note de bas de page 10 Cette question est abordée à la section 5.1 ci-dessous, bien que, de manière générale, il soit juste de dire que les orientations sur les mécanismes de réclamation non judiciaires dans le contexte des entreprises et des droits de la personne sont moins exigeantes et moins prescriptives que les orientations destinées aux ombudsmans ayant compétence sur l’administration publique.

Enfin, bien que les Principes de Venise s’adressent aux ombudsmans ayant compétence sur les acteurs gouvernementaux, le Rapport annuel 2019-2021 de l’OCRE indique que les « principales caractéristiques d’un ombudsman sont décrites dans les Principes de Venise » et que « l’OCRE soutient les Principes sur la protection et la promotion de l’institution de l’ombudsman (“les Principes de Venise”) ». L’OCRE considère donc que les Principes de Venise sont applicables à son office et s’engage à les respecter. Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, cette position ne va pas de soi. Le présent rapport prend en compte l’engagement de l’OCRE envers les Principes de Venise et sa décision de commander une recherche évaluant l’OCRE par rapport à ces principes, à titre de considérations pertinentes dans l’analyse qui suit.

2.2 Qu’est-ce qu’un ombudsman?

Il n’existe pas de définition internationalement reconnue de l’ombudsman. Comme nous l’avons mentionné précédemment à la page 6, le titre même d’ombudsman n’est pas définitif. L’absence de consensus sur les définitions illustre l’établissement et la diffusion extraordinaires de l’institution de l’ombudsman, depuis ses origines en Suède en 1809 jusqu’à devenir une institution qui, à la suite d’un développement rapide à partir des années 1950, existe aujourd’hui dans le monde entier. Voici quelques-uns des principaux développements :

En se déployant dans ces différents contextes institutionnels et en s’adaptant à des cadres constitutionnels, juridiques et culturels variés dans le monde, cette institution a fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation et d’une grande flexibilité. Ces caractéristiques ont permis la diffusion rapide de l’institution, mais ont inévitablement soulevé des questions sur la mesure dans laquelle l’adaptation peut se faire tout en restant fidèle aux conceptions orthodoxes de la nature de l’institution.Note de bas de page 11

En effet, l’utilisation du titre d’ombudsman, qui, dans certains pays, a été protégé par la loi afin d’éviter les abus, suscite une vive controverse.Note de bas de page 12 Au Royaume-Uni, l’Ombudsman Association n’admet comme membres que les organisations utilisant le titre d’ombudsman qui répondent à tous ses critères d’adhésion. Certains se préoccupent du fait que l’utilisation du titre « ombudsman », en particulier par les régimes non statutaires mis en place par les acteurs du secteur privé eux-mêmes, pourrait donner une impression trompeuse quant à l’indépendance et aux pouvoirs de ces systèmes. On craint également que les gouvernements, lorsqu’ils mettent en place de nouveaux bureaux d’ombudsman, n’aient qu’une compréhension limitée de ce que sont les ombudsmans et des normes élevées auxquelles ils doivent se conformer.

Dans le cadre du présent rapport, il convient de souligner que a) les types d’ombudsmans existants et les rôles qu’ils sont censés remplir sont très variés, en particulier selon qu’ils supervisent des activités gouvernementales ou des acteurs du secteur privé; b) le travail des ombudsmans s’est élargi et englobe différentes compétences dans des contextes différents, de sorte qu’il convient d’adopter une approche contextuelle pour comprendre certains ombudsmans dans des contextes particuliers; c) bien qu’il existe une grande variété et qu’il soit nécessaire de tenir compte du contexte, le titre « ombudsman » est généralement considéré comme protégeant des normes élevées en matière de règlement indépendant des plaintes, ce qui distingue l’institution d’autres formes de règlement des plaintes.

Bien qu’il y ait de la place pour une gamme de modèles et d’approches d’ombudsman (voir la section 5.2 plus loin), on s’attend à ce que lorsque le titre « ombudsman » est utilisé, l’institution en question se conforme aux normes les plus élevées en ce qui concerne son indépendance et ses pouvoirs. Ce point est important compte tenu de la décision de présenter l’OCRE comme un « ombudsman » plutôt que comme une autre forme de mécanisme de réclamation non judiciaire. L’utilisation de ce terme s’accompagne d’une attente accrue quant au type et à la qualité du service de règlement des plaintes proposé.

3. Indicateurs d’indépendance

3.1 Normes internationales et nationales concernant la fonction d’ombudsman

La section 5 rassemble une série d’« indicateurs d’indépendance » tirés des normes internationales suivantes :

Organisme émetteur

 

Titre

Commission de Venise du Conseil de l’Europe

Avis no 897/2017 Principes sur la protection et la promotion de l’institution de l’ombudsman (Principes de Venise)

Assemblée générale des Nations Unies

Résolution 75/186 Le rôle des institutions des ombudsmans et des médiateurs dans la promotion et la protection des droits humains, de la bonne gouvernance et de l’État de droit (la résolution des Nations Unies)

Institut international de l’Ombudsman

Statuts de l’Institut international de l’Ombudsman (les Statuts de l’IIO).

Comme nous l’avons indiqué au point 4.1 ci-dessus, les Principes de Venise, la résolution de l’ONU et les Statuts de l’IIO s’appliquent aux ombudsmans ayant compétence sur les autorités gouvernementales (ou les acteurs privés fournissant des services essentiels).Note de bas de page 13 Il n’existe pas de normes internationales qui s’appliquent aux ombudsmans ayant compétence pour examiner les plaintes concernant des acteurs du secteur privé. Par conséquent, deux ensembles de normes nationales faisant autorité ont été inclus dans l’analyse qui suit, lorsque cela s’est avéré utile. Les normes de l’Ombudsman Association couvrent à la fois les ombudsmans ayant une compétence gouvernementale et ceux du secteur privé, tandis que les orientations du gouvernement australien ne concernent que le mode substitutif de résolution des différends dans le secteur privé.

Organisme émetteur

Titre

Ombudsman Association (Royaume-Uni, Irlande et territoires britanniques d’outre-mer)

Terms and Rules (les modalités) (en anglais seulement)

Gouvernement de l’Australie

Benchmarks and Key Practices for Industry Based Customer Alternative Dispute Resolution (critères de référence et pratiques clés concernant le mode substitutif de résolution des différends pour les clients en fonction du secteur) (en anglais seulement)

Il convient de noter que ces normes nationales s’adressent généralement aux ombudsmans du secteur privé mis en place (par la loi ou dans le cadre de systèmes d’autoréglementation) pour traiter les plaintes des consommateurs dans des territoires nationaux en particulier et, à ce titre, leur contexte est très différent de celui de l’OCRE en ce qui concerne la nature et la sensibilité des différends examinés. Néanmoins, en l’absence de normes internationales en matière d’ombudsman s’appliquant directement à la situation internationale particulière de l’OCRE, il est utile d’envisager ces approches pour les ombudsmans ayant un mandat dans le secteur privé.

3.2 Reconnaissance de la flexibilité et approche multimodèle

Comme les Principes de Venise évoqués au point 4 ci-dessus, les normes mentionnées au point 5.1 n’ont pas force de loi. Toutefois, ensemble, ils peuvent être considérés comme des orientations faisant autorité en ce qui concerne les pratiques exemplaires établies pour les institutions d’ombudsman.

Outre le fait qu’ils ne sont pas contraignants, chacun de ces documents reconnaît qu’il existe de multiples façons de concevoir et de faire fonctionner les institutions d’ombudsman dans des contextes nationaux particuliers. Aucun des documents ne recommande une approche « unique », et chacun laisse une grande marge de manœuvre pour adapter les approches à des contextes nationaux ou à des secteurs d’activité particuliers.

Par exemple :

Bien que chacun de ces documents énonce des principes, des normes, des critères ou des références, leur degré de prescription varie, et chacun reconnaît la nécessité d’appliquer les approches fondées sur des principes avec souplesse dans la pratique. En effet, chacun de ces documents peut être considéré comme une tentative d’élaboration de normes faisant autorité, tout en garantissant une flexibilité suffisante pour reconnaître le manque d’uniformité des pratiques au sein des communautés nationales et mondiales d’ombudsman.Note de bas de page 14 Ainsi, en définissant les « indicateurs d’indépendance » dans la présente section et en les appliquant à l’OCRE dans la section 6, il est nécessaire de rappeler que les normes dans ce domaine sont nuancées et qu’une grande diversité d’approches est généralement prévue.Note de bas de page 15

3.3 Indicateurs d’indépendance

Les indicateurs d’indépendance suivants peuvent être établis grâce à l’analyse des normes énoncées au point 5.1 ci-dessus. Les indicateurs d’indépendance sont regroupés en deux catégories : les indicateurs relatifs aux caractéristiques de la conception des institutions d’ombudsman et les indicateurs relatifs aux pouvoirs dont les institutions d’ombudsman ont besoin pour garantir une action indépendante efficace.

Conception institutionnelle

Pouvoirs institutionnels

4. Évaluation de l’indépendance de l’OCRE

La présente section du rapport décrit en détail les exigences de chaque indicateur d’indépendance et évalue le degré de conformité de l’OCRE à ces exigences.Note de bas de page 16

4.1 Indicateur d’indépendance 1 : indépendance structurelle

4.1.1 Normes

Le préambule des Principes de Venise fait référence aux « principes fondamentaux » de l’institution de médiation, à savoir « l’indépendance, l’objectivité, la transparence, l’équité et l’impartialité ». L’indépendance a été qualifiée de condition sine qua non de l’institution d’ombudsman.Note de bas de page 17 Comme on le verra dans les autres indicateurs ci-dessous, un certain nombre de Principes de Venise visent à soutenir l’indépendance des institutions d’ombudsman. Toutefois, c’est le principe 14 qui est le plus étroitement lié à la question de l’indépendance structurelle de l’ombudsman. Il stipule que la « Ombudsman ne reçoit ni ne suit d’instructions de quelque autorité que ce soit ».

La résolution des Nations Unies fait référence à plusieurs reprises à l’indépendance dans son préambule et dans la résolution elle-même. La référence la plus claire à l’indépendance structurelle se trouve dans le préambule, où l’Assemblée générale adopte sa résolution tout en « [s]oulignant combien il importe que les institutions des ombudsmans et des ombudsmans, là où il en existe, soient autonomes et indépendantes par rapport au pouvoir exécutif et au pouvoir judiciaire, aux organismes de l’État et aux partis politiques, pour pouvoir examiner toutes les questions ayant trait à leurs domaines de compétence, sans qu’aucune menace réelle ou supposée ne pèse sur leur capacité procédurale ou l’efficacité de leurs procédures, et en étant à l’abri, en ligne et hors ligne, de toute forme de représailles, d’intimidation et de récrimination qui risquerait de compromettre leur fonctionnement ou la sûreté et la sécurité physique de leur personnel. »Note de bas de page 18

Le préambule des Statuts de l’IIONote de bas de page 19 fait référence aux trois « principes fondamentaux » de la fonction d’ombudsman, à savoir « l’indépendance, l’objectivité et l’équité ». Les Statuts de l’IIO définissent l’indépendance comme « la capacité d’un membre [de l’IIO] de s’acquitter de son rôle d’ombudsman sans ingérence de la part de l’organisme de nomination; il ne peut être révoqué que pour un motif valable clairement défini dans une loi, un mandat ou des règles de gouvernance établis par voies légales ». L’article 2(2) des Statuts comprend un ensemble de principes, appelé « Standard international de l’ombudsman ». L’article 2(2)d) prévoit ce qui suit : « elle [l’institution d’ombudsman] ne doit recevoir aucune directive d’une autorité publique quelle qu’elle soit qui aurait pour effet de compromettre son indépendance et elle doit assumer ses fonctions indépendamment de toute autorité publique relevant de sa compétence ».

Les Statuts de l’IIO semblent donc moins normatifs que le principe 14 des Principes de Venise puisqu’ils permettent à l’ombudsman de suivre des directives d’une autorité publique tant que l’indépendance n’est pas compromise.

Les modalités l’OA définissent les critères d’adhésion à l’OA. Elles expliquent les attentes des membres et l’obligation d’utiliser le titre d’« ombudsman ». Les critères s’appliquent de la même manière aux ombudsmans ayant compétence sur le gouvernement et à ceux ayant compétence sur les acteurs du secteur privé. Le premier critère est l’indépendance. Il en ressort clairement que l’exigence est l’indépendance « par rapport aux personnes sur lesquelles l’ombudsman a le pouvoir d’enquêter » [traduction] et que la nomination, la révocation et le contrôle doivent également être effectués indépendamment des « personnes faisant l’objet d’une enquête » [traduction].

Les critères de référence et pratiques clés constituent une source unique de conseils en matière de pratiques exemplaires destinés précisément aux ombudsmans du secteur privé chargés de traiter les plaintes des clients.Note de bas de page 20 L’un des critères de référence est l’« indépendance » et le principe sous-jacent est énoncé comme suit : « Le processus décisionnel et l’administration de mode substitutif de résolution des différends sont indépendants des organisations participantes. » [traduction] De même que les modalités de l’OA, les critères de référence et pratiques clés soulignent que l’indépendance est requise de la part des « organisations participantes » [traduction] en ce qui concerne la prise de décision, les antécédents du décideur, les dispositions en matière de responsabilité et le recrutement du personnel.

En résumé, les normes relatives à l’institution d’ombudsman exigent généralement des niveaux élevés d’indépendance structurelle, c’est-à-dire d’indépendance par rapport aux organisations faisant l’objet d’une enquête et par rapport à l’organe qui nomme l’ombudsman. Les normes qui prévoient des ombudsmans ayant compétence sur le secteur privé mettent l’accent sur l’indépendance par rapport aux organisations faisant l’objet d’une enquête. Lorsque la compétence porte sur le secteur public, l’accent est naturellement mis sur l’indépendance vis-à-vis des autorités de l’État en tant qu’organisations que ces ombudsmans sont habilités à surveiller.

4.1.2 Évaluation

L’OCRE agit à titre de conseiller spécial de la ministre du Commerce international, de la Promotion des exportations, de la Petite Entreprise, et du Développement économique (la ministre) et est nommé par le décret 2019-0300 (décret no 1), en vertu de l’alinéa 127(1)c) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. L’OCRE est nommé par le gouverneur en conseil sur avis du Conseil privé du Canada (le Cabinet). L’OCRE est donc, dans les faits, nommé par le pouvoir exécutif et est responsable devant la ministre de l’exécution de son mandat.

En plus d’être en mesure de modifier le décret 2019-1323 (décret no 2) établissant l’OCRE et définissant son mandat, le gouvernement est en mesure de fixer des priorités pour l’OCRE et de contrôler la manière dont ces priorités sont mises en œuvre. La ministre a récemment publié un Énoncé des priorités et des responsabilités pour l’OCRE, qui décrit les attentes d’Affaires mondiales Canada (AMC) dans la pratique.

Dans le même temps, l’OCRE fonctionne de manière indépendante d’AMC et n’est pas soumis au contrôle direct d’AMC en ce qui concerne ses fonctions décisionnelles et consultatives.

L’OCRE est donc un fonctionnaire nommé par le pouvoir exécutif sur une base indépendante et qui est structurellement indépendant des entreprises au sujet desquelles son office est habilité à examiner les plaintes. L’indépendance par rapport aux personnes est faisant l’objet de l’enquête est cruciale et constitue l’exigence la plus importante énoncée dans les normes nationales et internationales des ombudsmans. L’OCRE répond clairement à cette exigence.

Une question plus délicate est de savoir si, compte tenu de son objectif et de son mandat, l’OCRE doit également être totalement indépendant du pouvoir exécutif. Les Principes de Venise l’exigent, mais comme cela a été précisé dans les sections 4 et 5 ci-dessus, ces principes s’adressent aux ombudsmans ayant une compétence sur le secteur public et des acteurs gouvernementaux plutôt qu’une compétence dans le secteur privé sur des acteurs du monde de l’entreprise.Note de bas de page 21 Comme le notent le professeur Buck et ses collègues à propos des ombudsmans dans le secteur public :

« Garantir l’indépendance de l’office est une caractéristique de conception qui a toujours été considérée comme un impératif pour les régimes d’ombudsman […]. Cette norme [indépendance] constitue une revendication extrêmement importante d’autorité et de légitimité, sur laquelle repose, aux yeux du plaignant et des organismes publics, une grande partie de l’autorité exercée par l’ombudsman ».Note de bas de page 22

Il est évident qu’un ombudsman du secteur public doit être indépendant du gouvernement, mais dans quelles circonstances un ombudsman du secteur privé doit-il être indépendant du gouvernement?

Globalement, lorsque des offices d’ombudsman sont créés par la loi pour traiter les plaintes concernant des acteurs du secteur privé, c’est le plus souvent dans le cadre du droit de la consommation, où l’ombudsman traite les plaintes déposées par les consommateurs dans des secteurs en particulier.Note de bas de page 23 Dans ce contexte, on ne s’attendait pas à ce que ces ombudsmans soient indépendants du gouvernement et de l’industrie. En effet, la participation du gouvernement à la création ou à la supervision de ce type d’ombudsman est généralement considérée comme un moyen de conférer à l’institution une autorité et une légitimité plus grandes que les ombudsmans du secteur privé mis en place sur une base d’autoréglementation.

Le mandat de l’OCRE est toutefois très différent de celui des ombudsmans du secteur de la consommation :

De l’avis du présent rapport, ces caractéristiques particulières du contexte de l’OCRE soulignent la nécessité d’une indépendance structurelle vis-à-vis du gouvernement qui va au-delà de ce qui est généralement requis pour les ombudsmans ayant compétence sur les acteurs du secteur privé.

La reconnaissance, dans les Principes directeurs des Nations Unies, de l’existence de « liens entre État et entreprises » (p. 7), qui existe à la fois pour les entreprises contrôlées par l’État et pour celles qui bénéficient d’un soutien ou de services importants de la part de l’État, est particulièrement préoccupante à cet égard. En tant qu’acteurs économiques et sociaux puissants, les grandes entreprises sont souvent en mesure d’obtenir un accès privilégié au gouvernement et d’influencer les priorités et les politiques gouvernementales.

Il ne fait aucun doute que certains intervenants de l’OCRE s’inquiètent de la proximité de l’OCRE avec AMC, dont les priorités politiques comprennent à la fois la promotion d’une conduite commerciale responsable et la promotion des entreprises canadiennes à l’étranger.Note de bas de page 24 Cette situation est considérée comme un conflit d’intérêts potentiel susceptible d’avoir une influence sur la manière dont l’OCRE fonctionne dans la pratique. Il se peut également qu’à l’avenir, des changements de gouvernement, de climat politique ou d’impératifs économiques amènent le gouvernement à chercher à influencer l’approche et les priorités de l’OCRE d’une manière qui pourrait être considérée comme avantageuse pour les entreprises canadiennes.

Cette critique a également été formulée dans des commentaires universitaires :

« Les ambiguïtés institutionnelles entourant l’OCRE et ses pouvoirs d’enquête laissent le poste ouvert à l’ingérence des entreprises, qui pourraient faire pression pour s’assurer que l’institution reste inefficace de par sa conception. En d’autres termes, les lobbyistes des entreprises pourraient profiter des faiblesses actuelles de l’OCRE pour supprimer toute capacité future de l’institution à lutter de manière significative contre les abus causés par des entreprises canadiennes à l’étranger. »Note de bas de page 25

Bien que l’OCRE soit indépendant d’AMC, ses priorités et ses responsabilités sont fermement définies par la ministre du Commerce international, de la Promotion des exportations, de la Petite Entreprise, et du Développement économique. On peut le voir dans l’Énoncé des priorités et des responsabilités, qui souligne que l’OCRE doit rendre compte de son rendement à la ministre et demande à travailler en étroite collaboration avec la ministre et d’autres acteurs gouvernementaux pour mettre en œuvre la Stratégie sur la conduite responsable des entreprises du gouvernement.

Une tension particulière apparaît ici entre le mandat de l’OCRE, qui est de fournir des conseils indépendants au gouvernement, et sa nécessité de travailler avec d’autres pour mettre en œuvre la stratégie du gouvernement et rendre compte des résultats obtenus par rapport aux priorités fixées par la ministre.

En examinant ces enjeux, une variable clé du monde réel est liée aux besoins et aux attentes des intervenants de l’OCRE. La question de l’indépendance, combinée à des pouvoirs d’enquête limités, suscite des critiques importantes de la part des ONG de défense des droits de la personne, allant même jusqu’à inviter les particuliers et les groupes à faire preuve de prudence lorsqu’ils s’adressent à l’OCRE.Note de bas de page 26 Ces préoccupations ont été résumées comme suit :

« […] [les critiques formulées à l’encontre de l’OCRE] portent principalement sur son manque de pouvoirs en matière d’application, son manque de capacité à obtenir des preuves et son manque d’indépendance par rapport au gouvernement. En effet, puisque l’OCRE a été créé par le pouvoir exécutif et qu’il lui rend compte, le risque de dépendance institutionnelle jette un doute sur sa capacité à enquêter efficacement sur le comportement des entreprises et à agir en tant que “chien de garde indépendant” » [traduction].Note de bas de page 27

Les ONG craignent notamment que les plaignants fassent l’objet de représailles pour avoir déposé une plainte et, dans ce contexte, il convient d’avoir une confiance absolue dans l’indépendance et l’efficacité d’un mécanisme de réclamation tel que l’OCRE. Sans cette confiance, il est à craindre que le dépôt d’une plainte n’aggrave la situation d’une personne et n’aboutisse pas à une amélioration significative du respect des droits de la personne.

Bien que le présent rapport porte sur les exigences des Principes de Venise et d’autres normes sur la fonction d’ombudsman, il convient de noter ici que les normes en matière de droits de la personne exigeraient l’indépendance de l’OCRE par rapport au gouvernement. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises (le Groupe de travail des Nations Unies), par exemple, a recommandé dans son rapport de 2018 sur sa mission au Canada que :

« … l’institution [l’OCRE] doit être totalement indépendante du Gouvernement, en mesure d’entreprendre de véritables enquêtes et investi des pouvoirs nécessaires pour faire comparaître des témoins et obliger les parties prenantes à produire des documents, ainsi que de tout autre pouvoir nécessaire pour lutter pleinement contre les violations des droits de l’homme ».Note de bas de page 28

Charis Kamphuis et Leah Gardner sont également parvenues à la conclusion que l’OCRE doit être indépendant du gouvernement, et non seulement des entreprises canadiennes, dans leurs travaux sur l’élaboration d’un cadre pour l’évaluation de mécanismes de réclamation non judiciaires efficaces. Se référant aux principes de Masstricht (ainsi qu’aux déclarations pertinentes des organes des Nations Unies chargés des droits de la personne),Note de bas de page 29 elles notent que « le principe 37 [exige] que les États offrent un recours effectif devant une autorité indépendante » [traduction]. Par conséquent, le deuxième domaine de leur cadre exige à la fois « l’indépendance vis-à-vis des partis et de l’État ». Kamphuis et Gardner concluent :

« Les principes directeurs [des Nations Unies] envisagent qu’ils [les mécanismes de réclamation] puissent également être indépendants de l’État, mais ne l’exigent pas explicitement, contrairement aux principes de Maastricht. On peut cependant soutenir que les exigences de confiance publique et de non-ingérence exprimées dans les principes directeurs [des Nations Unies] exigeraient qu’un mécanisme de réclamation soit indépendant de l’État. Le récent rapport du Groupe de travail confirme fermement que l’indépendance par rapport aux parties et à l’État d’origine fait partie de la norme d’efficacité requise par le droit international. »Note de bas de page 30 [traduction]

Dans l’ensemble, à la lumière des points examinés ci-dessus, le présent rapport conclut qu’il serait préférable que l’OCRE soit structurellement indépendant non seulement des entreprises sur lesquelles il enquête, mais aussi du gouvernement qu’il est chargé de conseiller. Le statut actuel de l’OCRE, en tant que conseiller spécial de la ministre, ne permet pas d’atteindre cet objectif. La meilleure façon d’assurer l’indépendance structurelle est de faire en sorte que la nomination, la révocation et les rapports de responsabilisation de l’office de l’ombudsman relèvent du pouvoir législatif plutôt que du gouvernement.Note de bas de page 31 Ces aspects précis de l’indépendance de l’ombudsman sont traités dans d’autres sections du rapport qui suit.

Pour parvenir à cette conclusion, il convient de faire quelques mises en garde :

4.1.3 Recommandation

Recommandation 1 : L’OCRE devrait être établi indépendamment du pouvoir exécutif, en tant qu’institution d’ombudsman totalement indépendante, plutôt qu’à titre de conseiller spécial auprès du ou de la ministre.

4.2 Indicateur d’indépendance 2 : base législative

4.2.1 Normes

Le principe 2 des Principes de Venise prévoit que « [l]’institution de l’Ombudsman, y compris son mandat, doit avoir une solide assise juridique, de préférence au niveau constitutionnel, tandis que ses caractéristiques et ses fonctions peuvent être précisées au niveau législatif ». L’objectif, en particulier de l’inscription dans la Constitution, est de protéger l’institution de l’ombudsman contre toute modification de sa création, de ses compétences et de ses pouvoirs sans examen approprié. Lorsqu’un ombudsman est créé sans être imposé par une loi ou à l’aide d’instruments législatifs qui peuvent être facilement modifiés par un grand pouvoir exécutif, l’indépendance de l’ombudsman est manifestement menacée.

Les Statuts de l’IIO exigent également, à l’article 2(2)a) que la « légitimité [de l’ombudsman] doit être reconnue par la constitution d’un pays, d’un État, d’une région ou d’un territoire local, ou encore par une loi de la Législature ou un traité international ». La résolution des Nations Unies mentionne, à l’article 2b), que les ombudsmans doivent être dotés du « cadre constitutionnel et législatif nécessaire » pour garantir (avec une série d’autres caractéristiques importantes) qu’ils puissent « exercer leur mandat avec efficacité et en toute indépendance et renforcer la légitimité et la crédibilité de leurs activités, qui constituent des mécanismes de promotion et de protection des droits humains et de promotion de la bonne gouvernance et du respect de l’état de droit ».

Conformément au fait que de nombreuses institutions d’ombudsman du secteur privé fonctionnent sans être imposées par la loi, les modalités de l’OA et les points de référence du gouvernement de l’Australie n’exigent pas que les ombudsmans aient une base légale ou constitutionnelle. Une plus grande gamme de modèles est généralement autorisée pour les ombudsmans du secteur privé, qui peuvent être établis par la loi, dans le cadre d’un système de réglementation (ou de réglementation conjointe) ou indépendamment du gouvernement en tant que mécanisme d’autoréglementation.

En résumé, les ombudsmans ayant une compétence sur le secteur public devraient généralement être prévus dans la législation primaire (plutôt que dans les dispositions exécutives), idéalement dans la constitution. Les normes relatives aux ombudsmans ayant une compétence dans le secteur privé autorisent un plus grand nombre de modèles pour la mise en place d’un ombudsman.

4.2.2 Évaluation

L’OCRE est établi par un décret, une forme de loi élaborée par le pouvoir exécutif. Ce type d’accord ne convient généralement pas aux ombudsmans ayant une compétence gouvernementale, car il ne protège pas l’ombudsman d’une ingérence du pouvoir exécutif dans son mandat et ses pouvoirs.Note de bas de page 34 Un plus grand degré d’enchâssement (et un examen approfondi de tout changement proposé) est généralement requis.Note de bas de page 35

Le présent rapport a déjà examiné le contexte particulier de l’OCRE au point 6.1 ci-dessus et la question de savoir si les normes applicables aux ombudsmans du secteur public devraient également s’appliquer à l’OCRE. En ce qui concerne la base du mandat législatif, l’indépendance de l’OCRE serait renforcée si son mandat était inclus dans la législation primaire. Cela contribuerait également à renforcer la confiance des intervenants dans l’indépendance de l’institution et dans le fait qu’elle n’est pas soumise à une influence indue ou à des modifications de la part du gouvernement.Note de bas de page 36

D’un point de vue pratique, comme nous le verrons plus loin, la création de l’OCRE au moyen d’un décret limite également la possibilité d’accorder à l’OCRE les pouvoirs que l’on attend habituellement des institutions d’ombudsman et l’immunité contre les poursuites civiles (voir les sections 6.10 et 6.11). Selon le rapport McIsaac, ces dispositions doivent figurer dans la législation primaire.

En effet, le rapport McIsaac a suggéré que, d’un point de vue juridique, la meilleure façon d’établir l’OCRE serait de recourir à la législation primaire ou de créer l’OCRE en tant que commission d’enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes. La première option a été recommandée comme préférable par McIsaac. La recommandation ci-dessous va dans le sens de ce conseil, ainsi que des normes internationales sur les ombudsmans.

4.2.3 Recommandation

Recommandation 2 : L’OCRE devrait être établi par une législation primaire, de manière à assurer un certain degré d’enracinement et de protéger l’institution de l’ingérence du pouvoir exécutif et à permettre l’adoption de dispositions concernant les pouvoirs et l’immunité de l’institution.

4.3 Indicateur d’indépendance 3 : statut et rémunération appropriés

4.3.1 Normes

Seuls les Principes de Venise prévoient des dispositions relatives au statut et à la rémunération de l’ombudsman. Le principe 3 prévoit que « [l]’institution de l’Ombudsman doit avoir un rang suffisamment élevé qui est reflété aussi dans la rémunération de l’Ombudsman et dans son régime de retraite ».

4.3.2 Évaluation

En tant que conseiller spécial auprès du ou de la ministre, l’OCRE touche un salaire qui se situe dans la fourchette GCQ-6, soit de 183 600 $ à 216 000 $. Le barème de rémunération GCQ est une échelle de 10 points utilisée pour les postes pourvus par le gouverneur en conseil. En tant que fonctionnaire, l’OCRE a accès au Régime de retraite de la fonction publique.

Les Principes de Venise ne définissent pas l’expression « rang suffisamment élevé ». Le statut de conseiller spécial de l’OCRE et son niveau de rémunération laissent supposer qu’il s’agit d’un poste de haut niveau. Ce statut est similaire à celui d’autres ombudsmans fédéraux canadiens : par exemple, l’ombudsman des contribuables est également un conseiller spécial auprès du ministre.

Toutefois, comme nous l’avons déjà évoqué au point 6.1 ci-dessus, le statut actuel de l’OCRE en tant que conseiller spécial auprès du ou de la ministre ne permet pas de garantir l’indépendance structurelle de l’organisation, comme l’exigent les Principes de Venise. Par conséquent, ce statut doit être modifié afin de garantir qu’il prévoit correctement l’indépendance de l’ombudsman.

Il est à noter que les ombudsmans prévus par la loi ayant compétence en matière de services publics au Canada, qui mènent leurs activités au niveau provincial, bénéficient souvent d’un statut qui reflète clairement l’indépendance de leur office par rapport au pouvoir exécutif. Par exemple :

Bien qu’il n’agisse pas comme ombudsman, le commissaire fédéral aux langues officielles présente de nombreuses caractéristiques d’un ombudsman. Le commissaire a le statut d’agent du Parlement, et reçoit le même traitement « qu’un juge de la Cour fédérale autre que le juge en chef ».Note de bas de page 40

En l’absence d’une norme prescriptive dans les Principes de Venise, la question du niveau approprié de rémunération de l’ombudsman doit être débattue. Il semble qu’il y ait différentes approches au Canada sur cette question, et il serait utile de comparer le salaire versé à l’OCRE à celui d’autres ombudsmans, tant au niveau provincial que fédéral, afin de s’assurer que le salaire est essentiellement conforme à celui des autres ombudsmans et qu’il reflète pleinement le rang élevé requis par les principes de Venise.

4.3.3 Recommandation

Recommandation 3 : La législation primaire pour l’OCRE (conformément à ce qui est mis de l’avant dans la recommandation 2 ci-dessus) devrait contenir des dispositions qui garantissent l’indépendance complète de l’ombudsman. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’assurer un lien étroit entre l’ombudsman et le pouvoir législatif (par exemple en faisant de l’ombudsman un agent du Parlement). Lors de l’élaboration d’une nouvelle législation concernant l’OCRE, il conviendrait de procéder à une analyse comparative afin de s’assurer que le niveau de rémunération de l’OCRE est conforme à celui d’autres ombudsmans canadiens (ou de commissaires ou d’agents du Parlement similaires) et qu’il est suffisant pour que le titulaire soit perçu comme étant de « haut rang » au sein du système gouvernemental canadien.

4.4 Indicateur d’indépendance 4 : mode de nomination approprié

4.4.1 Normes

Les principes 6, 7 et 8 des Principes de Venise prévoient la nomination de l’ombudsman. Le principe 6 fait référence à l’organe de nomination et précise que « [l]'Ombudsman est élu ou nommé selon des procédures visant à renforcer dans toute la mesure du possible l’autorité, l’impartialité, l’indépendance et la légitimité de l’institution. L’Ombudsman est de préférence élu par le Parlement à une majorité qualifiée appropriée. » Le texte de ce principe semble reconnaître que les institutions d’ombudsman sont souvent nommées par le pouvoir exécutif plutôt que par le pouvoir législatif, bien que ce dernier soit considéré comme préférable.

Le principe 7 stipule que « [l]a procédure de sélection du candidat inclut un appel public et est publique, transparente, fondée sur les mérites, objective et prévue par la loi ». Une procédure de sélection ouverte et fondée sur le mérite est nécessaire pour garantir que le pouvoir exécutif (lorsqu’il est responsable des nominations) ne sélectionne pas simplement un candidat qui sera favorable au gouvernement et pour garantir la sélection de candidats de haut niveau.

Le principe 8 vise à promouvoir cet objectif en veillant à ce que les critères de sélection soient suffisamment larges pour attirer un éventail diversifié de candidats : « Les critères de nomination de l’Ombudsman sont suffisamment larges afin d’encourager une grande variété de candidats adéquats. Les critères essentiels sont une haute considération morale, l’intégrité et une expertise et une expérience professionnelles appropriées, y compris dans le domaine des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

La résolution des Nations Unies approuve le principe selon lequel « [les États membres doivent] prendre les mesures voulues pour faire en sorte que les modalités de nomination de l’ombudsman ou de l’ombudsman garantissent la pleine indépendance des institutions correspondantes, là où il en existe, ainsi que la reconnaissance et le respect par l’État et de ces institutions et de leur travail ».

Les modalités de l’OA prévoient que « les personnes qui nomment l’ombudsman doivent être indépendantes de celles qui font l’objet de l’enquête de l’ombudsman. Cela n’exclut pas une représentation minoritaire des personnes faisant l’objet d’une enquête au sein de l’organe de nomination, à condition que l’organe soit habilité à procéder à une nomination par décision majoritaire. » [traduction] Les modalités de l’OA vont plus loin que les Principes de Venise en exigeant l’indépendance globale de l’organe de nomination et en excluant, en principe du moins, la nomination d’ombudsmans ayant compétence sur le secteur public par le pouvoir exécutif.Note de bas de page 41

Les points de référence du gouvernement de l’Australie contiennent des dispositions limitées concernant le processus de nomination, exigeant seulement que « le décideur [dans la plupart des cas un ombudsman ou un commissaire] ne soit pas sélectionné directement par les organisations participantes » [traduction].

En résumé, l’exigence centrale est que l’ombudsman ne soit pas nommé par les personnes faisant l’objet de l’enquête. Pour les ombudsmans du service public, les Principes de Venise suggèrent qu’il est préférable que la nomination se fasse au moyen d’une élection par l’Assemblée législative. Le processus de sélection doit être ouvert, fondé sur le mérite et utiliser des critères larges pour encourager la diversité et la qualité des candidats.

4.4.2 Évaluation

La nomination de l’actuel OCRE s’est faite à l’issue d’une procédure de recrutement ouverte et fondée sur le mérite, les critères de nomination étant larges et adaptés au rôle de l’ombudsman. Ces éléments du processus de recrutement répondent aux exigences des Principes de Venise. Ces éléments devraient toutefois figurer dans la législation primaire afin de garantir qu’ils constituent une caractéristique cohérente de la nomination de l’ombudsman à l’avenir.

L’OCRE est nommé par le gouverneur en conseil. Cette méthode de nomination est couramment utilisée pour une série de postes « qui vont des dirigeants d’organismes aux premiers dirigeants des sociétés d’État jusqu’aux membres des tribunaux quasi judiciaires ». Note de bas de page 42Les nominations sont effectuées par le gouverneur en conseil sur avis du Conseil privé de la Reine pour le Canada (le Cabinet). En tant que telle, la nomination est faite par le pouvoir exécutif.

Ce mode de nomination satisfait à l’exigence essentielle de certaines des normes de l’ombudsman énoncées ci-dessus, en ce sens que l’organisme de nomination n’est pas soumis à une enquête de l’OCRE.

Les Principes de Venise suggèrent toutefois qu’il est préférable que la nomination soit faite par le pouvoir législatif, bien que la nature provisoire des conseils donnés ici illustre le fait que la nomination par le pouvoir exécutif est courante au sein de la communauté mondiale des ombudsmans. En effet, Linda Reif note ce qui suit :

« […] les ombudsmans du Royaume-Uni et de la France sont nommés par le pouvoir exécutif dans un sens ou dans un autre, mais sont indépendants en droit et en pratique. La plupart des ombudsmans classiques, des ombudsmans des droits de la personne et des ombudsmans hybrides en Afrique et en Asie sont nommés par le pouvoir exécutif. »Note de bas de page 43

Bien que les pratiques varient et qu’il n’y ait pas de consensus sur la nécessité des nominations par le pouvoir législatif,Note de bas de page 44 il convient de noter que les Principes de Venise (principe 6) exigent que les procédures de nomination visent à « renforcer dans toute la mesure du possible l’autorité, l’impartialité, l’indépendance et la légitimité de l’institution » (c’est nous qui soulignons). Si l’OCRE souhaite répondre aux normes d’indépendance les plus élevées et, compte tenu des points soulevés dans la section 6.1 concernant la valeur de l’indépendance structurelle de l’OCRE par rapport au gouvernement, il convient d’envisager de modifier le mode de nomination pour qu’il soit élu par le pouvoir législatif ou, au minimum, confirmé par celui-ci. Note de bas de page 45

Les institutions d’ombudsman des services publics qui relèvent de l’État au Canada offrent des modèles de fonctionnement de cette procédure de nomination. La Loi sur l’ombudsman de l’Ontario, par exemple, prévoit à l’article 2 que l’Assemblée nomme l’ombudsman soit par consentement unanime de l’Assemblée, soit par accord unanime d’un groupe composé d’un député de chaque parti et présidé par le président de l’Assemblée.

En Ontario, le statut d’ombudsman est celui d’un « haut fonctionnaire de l’Assemblée » (article 1 de la Loi sur l’ombudsman de l’Ontario).Note de bas de page 46 Une approche similaire est suivie en Colombie-Britannique dans le cadre de la Ombudspersons Act 1996 (loi sur les ombudsmans). L’établissement d’une relation solide entre l’ombudsman et le pouvoir législatif est important non seulement pour garantir l’indépendance de l’ombudsman, mais aussi pour tirer le meilleur parti de l’approche et de la fonction particulières de l’ombudsman.Note de bas de page 47

Étant donné que les ombudsmans ne sont généralement pas le pouvoir d’imposer l’application de leurs conclusions et recommandations, la possibilité de faire rapport au pouvoir législatif constitue un mécanisme important pour garantir le respect des règles et mettre en lumière les questions d’intérêt public soulevées dans les dossiers traités. Ainsi, la proximité avec le pouvoir législatif – établie à la fois par le processus de nomination et par des obligations permanentes de rendre des comptes – remplit une fonction importante non seulement en ce qui concerne l’indépendance de l’institution, mais aussi en ce qui concerne son statut et son efficacité.Note de bas de page 48

Compte tenu du statut d’ombudsman des droits de la personne de l’OCRE, il convient de renforcer ses relations avec le pouvoir législatif.

4.4.3 Recommandation

Recommandation 4 : l’OCRE devrait être nommé par le Parlement du Canada (le Parlement) et lui rendre des comptes.

4.5 Indicateur d’indépendance 5 : durée du mandat appropriée

4.5.1 Normes

Selon le principe 10 des Principes de Venise, « [l]e mandat de l’Ombudsman est plus long que le mandat de l’organe de nomination. Le mandat est de préférence unique, sans possibilité de réélection; en tout cas, le mandat de l’Ombudsman est renouvelable seulement une fois. Le mandat unique n’est, de préférence, pas inférieur à sept ans ». Le mandat unique d’une durée appropriée (ou soumis à une seule période de reconduction) a pour but de s’assurer que l’ombudsman n’est pas incité à prendre des décisions favorables dans l’espoir d’être reconduit dans ses fonctions.

Les Statuts de l’IIO sont beaucoup plus vagues et permissifs, exigeant que la nomination de l’ombudsman se fasse « pour une période déterminée conformément aux lois pertinentes ou à une Constitution ».

Les modalités de l’OA prévoient que « le mandat doit être d’une durée suffisante pour ne pas compromettre l’indépendance. La durée de la nomination est d’au moins cinq ans. La nomination peut être renouvelée, mais le processus de renouvellement ne doit pas saper ou compromettre l’indépendance de l’institution. » [traduction] Là encore, cette norme est plus permissive que les Principes de Venise et ne prévoit aucune limite au renouvellement du mandat ni aucune exigence concernant la durée du mandat de l’institution d’ombudsman par rapport à celle du mandat de l’organe de nomination.

Les critères du gouvernement de l’Australie sont les plus permissifs, puisqu’ils exigent seulement que « le décideur soit nommé à son poste pour une durée déterminée » [traduction].

En résumé, il est reconnu que le mandat d’un ombudsman et son caractère renouvelable peuvent nuire à son indépendance. Les Principes de Venise fournissent les orientations les plus directives, en exigeant que les mandats ne soient renouvelés qu’une seule fois et en recommandant un mandat de sept ans.

4.5.2 Évaluation

Le paragraphe 2 du décret no 2 qui établit l’OCRE prévoit que la nomination de l’OCRE est faite pour une période déterminée de « renouvelable d’au plus cinq ans ». Le décret no 1 nommant l’actuelle titulaire du poste d’OCRE prévoit qu’elle portera ce titre « à titre inamovible pour un mandat de cinq ans ».

La durée du mandat et la manière dont il est prévu dans le décret no 2 doivent être améliorées afin de répondre aux attentes mentionnées ci-dessus. La formulation du décret no 2 et l’utilisation des mots « au plus » permettent au gouvernement de procéder à des nominations pour des durées déterminées inférieures à cinq ans. Bien que la titulaire actuelle ait été nommée pour un mandat fixe de cinq ans, la durée du mandat devrait être fixée par la loi plutôt que d’être laissée à la discrétion du gouvernement lors de la nomination.

L’absence de limitation du renouvellement est également un problème, et les pratiques exemplaires suggèrent que le mandat ne doit pas soumettre un renouvellement ou ne doit l’être qu’une seule fois.

Un mandat de cinq ans n’est pas en contradiction avec de nombreuses institutions d’ombudsman au niveau international, mais les Principes de Venise suggèrent qu’il est préférable que ce mandat soit de sept ans.

4.5.3 Recommandation

Recommandation 5 : le mandat de l’OCRE devrait être d’une durée fixe de sept ans, non renouvelable ou renouvelable une seule fois.

4.6 Indicateur d’indépendance 6 : dispositions appropriées en matière de durée du mandat et de révocation

4.6.1 Normes

Le principe 11 des Principes de Venise prévoit que « [l]'Ombudsman peut être démis de ses fonctions uniquement conformément à une liste exhaustive de conditions claires et raisonnables définies par la loi. Ces conditions ne portent que sur les critères essentiels d’“incapacité” ou d’“incapacité d’exercer les fonctions du poste”, “inconduite” ou “faute”, qui doivent être interprétés étroitement. La majorité parlementaire requise pour mettre fin aux fonctions de l’ombudsman – par le Parlement lui-même ou par une cour sur demande du Parlement – doit être au moins égale à, et de préférence plus élevée que, celle fixée pour son élection. La procédure de révocation est publique, transparente et prévue par la loi. » Les Principes de Venise exigent donc que les motifs de révocation soient très limités et interprétés de manière étroite et que la révocation ne soit possible qu’à la suite d’un vote du Parlement.

Les Statuts de l’IIO sont plus permissifs, puisqu’ils exigent seulement que le pouvoir législatif prenne l’initiative de la révocation, mais ne fournissent aucune précision quant à la base sur laquelle la révocation pourrait être ordonnée : « Son titulaire ou ses titulaires [du poste d’ombudsman] ne peuvent être révoqués par un organe législatif ou autre organe élu ou avec son approbation que pour un motif valable prévu dans les lois pertinentes ou une Constitution ».

Les modalités de l’OA prévoient que « la nomination ne doit pas faire l’objet d’une résiliation prématurée, sauf en cas d’incapacité, de faute professionnelle ou d’autres motifs valables » [traduction]. Les motifs de révocation doivent toujours être indiqués, bien que leur nature puisse varier d’un régime à l’autre. Les personnes faisant l’objet d’une enquête de l’ombudsman ne devraient pas être habilitées à exercer le pouvoir de mettre fin à la nomination de l’ombudsman, mais cela n’exclut pas leur représentation minoritaire au sein de l’organe habilité à mettre fin à la nomination » [traduction]. Les modalités sont donc moins explicites que les Principes de Venise, tant en ce qui concerne la personne qui peut prendre l’initiative d’une révocation que la base sur laquelle cette révocation peut être entreprise.

En résumé, on admet généralement que la révocation d’un ombudsman ne peut être influencée par les organisations faisant l’objet d’une enquête et doit être fondée sur des critères élevés, les motifs de licenciement étant à la fois limités et bien définis. Pour les ombudsmans de la fonction publique, on s’attend à ce que la révocation soit entreprise par le pouvoir législatif ou avec son approbation. 

4.6.2 Évaluation

L’OCRE est nommé « à titre inamovible » (décret no 2, paragraphe 2). Les conseils suivants concernent les personnes nommées par le gouverneur en conseil sur cette base :

« Ceux qui exercent leurs fonctions à titre inamovible peuvent être [relevés] seulement pour des raisons valables, dont les critères peuvent varier selon les formulations précises contenues dans la loi ou [autre] instrument juridique établissant le poste et autorisant la nomination, et conformément aux modalités de la nomination. »Note de bas de page 49

Les décrets no 2 et no 1 ne prévoient pas d’autres dispositions concernant le moment où l’OCRE peut être relevé de ses fonctions. L’OCRE actuel a confirmé que ses conditions d’emploi actuelles ne contiennent pas d’autres références aux critères pouvant justifier sa révocation.

Actuellement, il n’y a donc pas suffisamment de précisions en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles l’OCRE peut être révoqué. La conformité aux pratiques exemplaires exige également que la révocation soit entreprise ou approuvée par le pouvoir législatif plutôt que par le gouvernement.

4.6.3 Recommandations

Recommandation 6 : Les motifs pour lesquels l’OCRE peut être révoqué devraient être précisés dans la loi, en veillant à ce que le seuil de révocation soit élevé et les motifs limités.

Recommandation 7 : La révocation de l’OCRE devrait être du ressort du Parlement, à la suite d’un vote démontrant une majorité parlementaire en faveur de la révocation.

4.7 Indicateur d’indépendance 7 : interdiction de toute activité politique inappropriée

4.7.1 Normes

Seuls les Principes de Venise donnent des orientations à ce sujet. Le principe 9 prévoit que « [l]e Ombudsman ne peut exercer, pendant son mandat, des activités politiques, administratives ou professionnelles incompatibles avec son indépendance ou son impartialité. L’Ombudsman et son personnel sont liés par des codes d’éthique auto-réglementés. »

4.7.2 Évaluation

Le décret no 2 ne mentionne pas l’activité politique, mais les conseils suivants s’appliquent à toutes les personnes nommées par le gouverneur en conseil :

« Les personnes nommées par décret ne doivent participer à aucune activité politique qu’on pourrait raisonnablement considérer comme incompatible avec leurs fonctions ou comme compromettant leur capacité de les exercer de façon politiquement impartiale, ou qui mettrait en doute l’intégrité ou l’impartialité de leur office. Pour toute question relative aux obligations énoncées dans ces lignes directrices, s’adresser au Secrétariat du personnel supérieur du Bureau du Conseil privé. »Note de bas de page 50

Des orientations détaillées sont fournies dans les Lignes directrices régissant les activités politiques des titulaires de charge publique (les lignes directrices régissant les activités politiques),Note de bas de page 51 qui énoncent à la fois un « principe général » et une liste de « facteurs déterminants » pour évaluer la pertinence de toute activité politique des titulaires de charges publiques. En outre, l’OCRE est soumis aux dispositions de la Loi sur les conflits d’intérêts et de la Loi concernant le lobbying.

L’OCRE est nommé « en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique » (décret no 2, paragraphe 2) et, à ce titre, il est soumis aux dispositions de la partie 7 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique de 2003 en ce qui concerne les « activités politiques ». L’objet de la partie 7 est défini à l’article 112 : « reconnaître aux fonctionnaires le droit de se livrer à des activités politiques tout en respectant le principe d’impartialité politique au sein de la fonction publique ». L’article 113 énonce le principe général relatif aux activités politiques qui doivent être autorisées : « Les fonctionnaires peuvent se livrer à des activités politiques, sauf si celles-ci portent ou semblent porter atteinte à leur capacité d’exercer leurs fonctions de façon politiquement impartiale. »

Les lignes directrices régissant les activités politiques précisent que

« Toute question relative aux activités politiques de tout titulaire de charge publique nommé en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique ou assujetti aux dispositions de cette loi relève de la compétence exclusive de la Commission de la fonction publique. Ce groupe de personnes comprend les administrateurs généraux, les sous-ministres, les sous-ministres délégués, les administrateurs généraux délégués, les premiers dirigeants ou titulaires de postes assimilés qui sont assujettis soit à la partie 7, soit à l’article 117 de la Loi, de même que les conseillers spéciaux d’un ministre nommés en vertu du paragraphe 127.1(1) de la Loi. La Commission de la fonction publique peut faire enquête au sujet d’allégations à l’endroit des titulaires de charge publique susmentionnés d’avoir mené des activités politiques inappropriées. Toute question concernant les obligations qui découlent de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique doit être déférée à la Commission de la fonction publique. »

Dans l’ensemble, des dispositions appropriées sont donc en place pour garantir que l’OCRE ne s’engage pas dans une activité politique qui menacerait l’indépendance de l’office.

4.8 Indicateur d’indépendance 8 : ressources suffisantes

4.8.1 Normes

Le principe 21 des Principes de Venise stipule ce qui suit : « Des ressources budgétaires indépendantes et suffisantes doivent être garanties à l’institution de l’Ombudsman. La loi doit indiquer que les fonds alloués permettent à l'Ombudsman de s’acquitter pleinement, indépendamment et effectivement de ses responsabilités et de ses fonctions. L’Ombudsman doit être consulté et invité à présenter un projet de budget pour l’exercice budgétaire à venir. Le budget adopté pour l’institution ne doit pas être réduit pendant l’exercice budgétaire sauf si la réduction s’applique de manière générale aux institutions publiques. L’audit financier indépendant du budget de l’Ombudsman ne doit tenir compte que de la légalité des procédures financières et non du choix des priorités dans l’exécution du mandat. »

La résolution des Nations Unies prévoit que les institutions disposent de « ressources financières suffisantes aux fins du personnel et des autres besoins de financement » pour « exercer leur mandat avec efficacité et en toute indépendance et renforcer la légitimité et la crédibilité de leurs activités, qui constituent des mécanismes de promotion et de protection des droits humains et de promotion de la bonne gouvernance et du respect de l’état de droit ».

Les Statuts de l’IIO prévoient que « [l’office de l’ombudsman] doit disposer de fonds suffisants pour exercer ses fonctions ».

Les modalités de l’OA prévoient que « l’office de l’ombudsman doit être doté d’un personnel et d’un financement adéquats, soit par les personnes faisant l’objet de l’enquête, soit par des fonds publics, afin que les plaintes puissent être examinées et résolues de manière efficace et rapide » [traduction].

Les points de référence du gouvernement de l’Australie prévoient que « l’office dispose d’un financement suffisant pour permettre à sa charge de travail et à d’autres fonctions pertinentes d’être traitées conformément aux critères de résolution des différends pour les clients en fonction du secteur » [traduction].

En résumé, l’attente pour chacune des normes est que les ombudsmans reçoivent un financement adéquat pour remplir leur mandat. Les Principes de Venise suggèrent des exigences supplémentaires : l’adéquation du financement doit être fixée par la loi; le processus d’établissement du budget doit supposer la présentation d’un projet de budget par les ombudsmans et faire l’objet d’une consultation, et ne pas être soumis à une réduction arbitraire; l’audit financier doit porter sur la légalité, plutôt que sur le rendement.

4.8.2 Évaluation

Actuellement, le décret no 2 ne fait aucune référence à l’adéquation du budget de l’OCRE. Compte tenu du statut du décret en tant que loi adoptée par le pouvoir exécutif et du statut actuel de l’OCRE de conseiller spécial auprès du ou de la ministre, cela n’est pas surprenant.

Comme nous l’avons indiqué au point 6.2 ci-dessus, les normes des pratiques exemplaires suggèrent que l’ombudsman soit établi dans la législation primaire (et idéalement dans la Constitution elle-même). Cette loi devrait également inclure un énoncé de principe concernant l’adéquation du financement de l’OCRE.

En ce qui concerne le processus d’établissement du budget, il faut de la transparence et un contrôle indépendant afin de garantir que le pouvoir exécutif ne puisse pas réduire l’efficacité d’un ombudsman en réduisant son budget de manière inappropriée. Trevor Buck et ses collègues ont constaté ce qui suit :

« Étant donné les dangers du contrôle du pouvoir exécutif par le processus d’allocation des ressources, il devrait au moins y avoir des procédures transparentes pour vérifier les budgets fournis par les ombudsmans… ce qui est important, c’est que le Parlement soit en mesure d’intervenir si le budget de l’ombudsman est réduit de manière déraisonnable » [traduction].Note de bas de page 52

Dans l’État australien de Victoria, l’ombudsman (ainsi que d’autres agents du Parlement de Victoria) a récemment publié un rapport qui met en lumière les problèmes liés à la prise de décision du pouvoir exécutif concernant l’établissement du budget et le manque de transparence et de contrôle.Note de bas de page 53 Les risques inhérents au contrôle par le pouvoir exécutif des budgets des organismes indépendants suggèrent que des processus clairs d’établissement du budget sont nécessaires pour préserver l’indépendance et l’efficacité des ombudsmans.

Le processus d’établissement du budget de l’OCRE consiste à participer à l’exercice budgétaire annuel d’Affaires mondiales Canada au cours du dernier trimestre de l’exercice financier, en indiquant comment l’OCRE a l’intention de dépenser son financement permanent. Tant que le budget demeure dans les limites du financement annuel permanent approuvé, l’OCRE dispose d’un pouvoir discrétionnaire en matière de dépenses, sous réserve uniquement des règles et réglementations auxquelles toutes les entités du gouvernement du Canada doivent se conformer.

Les Principes de Venise sont ouverts à l’interprétation en ce qui concerne les exigences exactes du processus d’établissement du budget d’un ombudsman. L’ombudsman doit disposer de « ressources budgétaires suffisantes et indépendantes », mais les principes ne précisent pas qui doit présenter le budget et qui doit consulter l’ombudsman lors de l’établissement du budget.

Étant donné que les Principes de Venise mettent l’accent sur la nécessité de garantir, dans toute la mesure du possible, l’indépendance et la légitimité de l’ombudsman, la référence à des ressources budgétaires indépendantes doit être interprétée comme incluant le processus d’établissement du budget (et non seulement l’indépendance en matière de dépenses). En effet, l’indépendance dans l’utilisation des ressources budgétaires n’a qu’une valeur limitée si elle ne s’accompagne pas d’une véritable indépendance dans l’établissement du budget.

En ce qui concerne l’audit financier, il n’y a pas encore eu d’audit financier de l’OCRE. Cependant, le décret ne reflète pas les exigences des Principes de Venise en ce qui concerne le rôle limité de l’audit par rapport aux ombudsmans. Cela devrait être clairement défini dans la loi fondatrice de l’ombudsman afin de garantir que l’audit financier ne puisse pas être utilisé comme un outil permettant d’interférer indûment avec le pouvoir discrétionnaire de l’OCRE en matière de budget.

En ce qui concerne l’adéquation du budget actuel de l’OCRE, celui-ci a reçu 1,6 million de dollars pour couvrir les frais de démarrage. Dans le budget fédéral de 2021, le budget annuel de l’OCRE a été porté à 4,6 millions de dollars.

Rien n’indique que ce budget ait été insuffisant pour permettre à l’OCRE de remplir son mandat à ce jour. En effet, le Rapport annuel 2019-2021 et le Rapport annuel 2021-2022 de l’OCRE montrent que l’OCRE a été en mesure de réaliser un travail substantiel en mettant en place l’office, en consultant les intervenants et en élaborant des procédures pour remplir son mandat depuis la nomination du premier ombudsman en avril 2019.

Le budget de l’OCRE devrait également être évalué en fonction des volumes de plaintes qui sont actuellement faibles. Par exemple, seules 15 plaintes ont été reçues au cours de l’exercice 2021-2022. Au cours de la même période, l’OCRE a employé un total de 20 personnes, dont 17 experts en la matière et 3 personnes chargées des services stratégiques et généraux.

Compte tenu du nombre actuel de dossiers à l’étude et du fait que le budget de l’institution a considérablement augmenté depuis sa création, il n’y a pas eu jusqu’à présent d’inquiétude quant à l’adéquation des ressources de l’institution.

Toutefois, cette situation est susceptible de changer à mesure que l’OCRE élaborera son mandat pour lancer des examens de sa propre initiative (sans réception d’une plainte), que le nombre de plaintes augmentera et que les parties demanderont des services de règlement des différends tels que la recherche conjointe des faits et l’arbitrage (qui sont susceptibles d’être coûteux).

L’OCRE n’ayant pas encore achevé l’examen des plaintes, il n’existe pas de données relatives aux coûts. Toutefois, les premiers devis indiquent que l’examen d’une plainte peut coûter entre 25 000 et 100 000 $, en fonction de la complexité du dossier. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’OCRE compte 14 plaintes recevables et, en fonction de leur complexité, l’examen de chacune d’entre elles pourrait nécessiter des ressources supérieures à celles qui sont actuellement allouées à l’OCRE. À ce titre, il convient d’examiner en permanence l’adéquation du budget de l’OCRE.

Ce contrôle devrait être effectué par une comparution régulière devant un comité du Parlement, où l’OCRE (et ses intervenants) pourraient publiquement soulever des questions relatives à l’adéquation du financement et en discuter.

En ce qui concerne l’indépendance opérationnelle dans l’utilisation des fonds budgétaires, l’OCRE dispose – en pratique – d’un pouvoir discrétionnaire sur la manière dont le budget qu’il contrôle directement est dépensé (sous réserve des règles et règlements applicables à l’utilisation des fonds publics). Cela a été récemment confirmé dans le « cadre de coopération » entre l’OCRE et AMC. Bien que cette confirmation soit bienvenue, l’indépendance est nécessaire non seulement en ce qui concerne l’utilisation des fonds budgétaires, mais aussi le processus d’établissement du budget lui-même.

4.8.3 Recommandations

Recommandation 8 : Le processus d’établissement du budget de l’OCRE et ses décisions concernant la manière dont ce budget est dépensé devraient être indépendants du gouvernement du Canada. Le Parlement devrait se voir confier le rôle d’approuver et de superviser le budget de l’OCRE.

Recommandation 9 : Le mandat législatif de l’OCRE devrait inclure des dispositions exigeant que le budget de l’OCRE soit fixé à un niveau adéquat pour lui permettre de s’acquitter de ses fonctions.

Recommandation 10 : L’adéquation permanente du budget alloué à l’OCRE pour l’exécution de son mandat devrait faire l’objet d’un examen régulier par un comité compétent du Parlement.

4.9  Indicateur d’indépendance 9 : libre nomination du personnel

4.9.1  Normes

Le principe 22 des Principes de Venise stipule ce qui suit : « L’institution de l’ombudsman doit disposer de ressources humaines suffisantes et d’une structure suffisamment souple. L’institution peut comprendre un ou plusieurs Ombudsmans adjoints, à désigner par l’Ombudsman. L’Ombudsman doit être en mesure de recruter son personnel. »

Les points de référence du gouvernement de l’Australie précisent que « l’office sélectionne son propre personnel. Le personnel n’a pas de comptes à rendre aux organisations participantes sur le fonctionnement de l’office. » [traduction]

4.9.2  Évaluation

Le rapport annuel 2019 - 2021de l’OCRE indique que « l’OCRE dispose de pouvoirs subdélégués et d’autonomie pour la dotation en personnel  qui sont assujettis uniquement aux règles, aux politiques et aux normes qui s’appliquent à tous les ministères et organismes du gouvernement. » Certaines fonctions d’arrière-plan sont assurées par AMC : « Les services de soutien à l’infrastructure du bureau, comme l’approvisionnement, la dotation en personnel et la technologie de l’information, ont été fournis par Affaires mondiales Canada. »

Si l’OCRE jouit d’une autonomie de fait en matière de personnel, cette autonomie n’est pas clairement prévue par le décret no 2. En effet, le paragraphe 3 du décret n’aborde pas la question de l’autonomie de l’OCRE en matière de nomination du personnel :

« Le personnel de l’Ombudsman canadien pour la responsabilité des entreprises est embauché conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et fait partie du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. »

En outre, l’OCRE n’a pas actuellement la capacité de commander des conseils juridiques indépendants. Au lieu de cela, l’OCRE dépend des services juridiques fournis par AMC. Compte tenu notamment de la fonction consultative de l’OCRE vis-à-vis du gouvernement et des entreprises canadiennes, la capacité à obtenir des conseils juridiques indépendants est importante pour que l’OCRE puisse s’acquitter de son mandat en toute indépendance.

Bien qu’il n’existe pas de normes explicites concernant l’obtention de conseils juridiques, le principe général selon lequel l’ombudsman doit nommer son propre personnel vise à garantir que l’indépendance de l’ombudsman n’est pas compromise par la dépendance à l’égard du personnel nommé par une autre partie. Il n’y a aucune raison pour que cela ne s’applique qu’au personnel employé et ne s’applique pas également à la commande d’avis d’experts auprès de sources extérieures. En effet, d’autres législations relatives aux ombudsmans prévoient expressément la possibilité de commander des avis indépendants.Note de bas de page 54

4.9.3  Recommandation

Recommandation 11 : L’OCRE devrait avoir le droit de demander des conseils juridiques à un prestataire de services juridiques de son choix.

4.10  Indicateur d’indépendance 10 : immunité juridique

4.10.1  Normes

Seuls les Principes de Venise contiennent des dispositions relatives à l’immunité juridique. Le principe 23 prévoit ce qui suit : « L’Ombudsman, les adjoints et le personnel dirigeant doivent jouir de l’immunité de juridiction pour ce qui est de leurs activités et travaux, oraux ou écrits, menés dans l’exercice de leurs fonctions pour l’institution (immunité fonctionnelle). Cette immunité fonctionnelle perdure également après que l’Ombudsman, les adjoints ou le personnel dirigeant ont quitté l’institution. »

4.10.2  Évaluation

Le décret no 2 ne contient aucune disposition relative à l’immunité de l’OCRE contre les poursuites civiles. Le rapport McIsaac contient le commentaire suivant concernant l’immunité juridique de l’OCRE :

« En règle générale, les ombudsmans et les institutions similaires créées par la loi bénéficient de dispositions qui les protègent de la responsabilité civile pour les actes qu’ils accomplissent dans le cadre de leur mandat. Les lois prévoyant la création de commissions d’enquête contiennent souvent de telles dispositions. Si, comme dans le cas de la Loi sur les enquêtes fédérale, ce n’est pas le cas, la jurisprudence suggère que les commissaires bénéficient de la protection de common law de l’immunité relative, voire de l’immunité absolue accordée aux juges. » [traduction]

Ce commentaire n’indique pas clairement si l’OCRE, en tant qu’ombudsman créé par décret à titre de conseiller spécial auprès du ou de la ministre, bénéficierait des protections de la common law s’appliquant aux commissions d’enquête. En tout état de cause, étant donné l’importance de l’immunité juridique pour l’exécution indépendante du mandat de l’OCRE et la nécessité pour l’institution d’avoir une certitude quant à toute responsabilité potentielle (en particulier si les pouvoirs de l’OCRE devaient être étendus, voir les sections 6.11 et 6.12 ci-dessous), l’immunité devrait être explicitement prévue par la loi, comme l’exigent les Principes de Venise.

4.10.3  Recommandation

Recommandation 12 : L’OCRE devrait bénéficier d’une immunité de juridiction pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions.

4.11  Indicateur d’indépendance 11 : pouvoir de contraindre à la production de preuves

4.11.1  Normes

Le principe 16 des Principes de Venise prévoit ce qui suit : « L’Ombudsman doit avoir le pouvoir discrétionnaire d’enquêter, de sa propre initiative ou à la suite d’une plainte, en tenant dûment compte des recours administratifs disponibles. L’Ombudsman est habilité à demander la coopération de tout individu ou organisation susceptibles d’assister dans ses enquêtes. L’Ombudsman doit avoir un accès illimité juridiquement exécutoire à tout document, base de données et matériels pertinents, y compris ceux qui pourraient par ailleurs être juridiquement privilégiés ou confidentiels. Cela inclut un accès sans entraves aux bâtiments, aux institutions et aux personnes, également à celles privées de liberté. L’Ombudsman doit avoir le pouvoir d’interroger ou de demander des explications écrites aux responsables et aux autorités, et de plus, porter une attention et une protection particulières aux lanceurs d’alerte au sein du secteur public. »

La résolution des Nations Unies prévoit, au paragraphe 2, point b), que l’institution de l’ombudsman devrait être dotée, entre autres, des « pouvoirs voulus pour disposer des outils dont elles ont besoin pour choisir les problèmes à examiner, remédier aux problèmes de mauvaise administration, mener des enquêtes approfondies et en communiquer les résultats, ainsi que de tous les autres moyens dont elles ont besoin pour exercer leur mandat avec efficacité et en toute indépendance et renforcer la légitimité et la crédibilité de leurs activités, qui constituent des mécanismes de promotion et de protection des droits humains et de promotion de la bonne gouvernance et du respect de l’état de droit ».

Les Statuts de l’IIO prévoient, au paragraphe 2(2)(e), qu’il [l’ombudsman] doit détenir les pouvoirs et les moyens nécessaires pour enquêter sur les plaintes déposées par toute personne ou tout groupe de personnes relativement à un acte posé ou qu’on a omis de poser, ou à toute décision, tout avis ou toute recommandation d’une autorité publique relevant de sa compétence qui a entraîné des conséquences du type décrit au paragraphe 2 (b) [mauvaise administration, violation des droits, injustice, etc. causée par une autorité publique] ».

Les modalités de l’OA prévoient que l’ombudsman doit « (ii) sauf disposition contraire de la loi, avoir le droit d’exiger tous les renseignements, documents et autres éléments pertinents de la part des personnes faisant l’objet de l’enquête » [traduction].

Les points de référence du gouvernement de l’Australie prévoient que « le décideur peut exiger qu’une organisation participante fournisse toutes les informations qui, selon lui, sont pertinentes pour une plainte, à moins que ces informations ne permettent d’identifier une tierce partie à laquelle incombe un devoir de confidentialité ou de respect de la vie privée, ou à moins qu’elles ne contiennent des informations que la loi interdit à l’organisation participante de divulguer » [traduction].

En résumé, on s’attend à ce que l’ombudsman ait le droit d’exiger la communication d’informations (sous réserve des exceptions prévues par la loi). La plupart des normes ne précisent pas de quelle manière ce droit d’exiger ou de demander des informations doit être appliqué, et seuls les Principes de Venise établissent explicitement que l’ombudsman doit pouvoir faire appliquer la loi.

4.11.2  Évaluation

Comme nous l’avons indiqué précédemment, la souplesse et l’adaptabilité sont des caractéristiques de l’institution d’ombudsman qui lui ont permis de s’établir dans des contextes variés dans le monde entier. Toutefois, l’une des caractéristiques fondamentales de l’ombudsman est son important pouvoir d’enquête. Si les institutions d’ombudsman recherchent généralement la coopération des organismes sur lesquels elles enquêtent, des pouvoirs adéquats permettant de faire pression sur les organisations pour qu’elles produisent des preuves sont nécessaires en guise de filet de sécurité, d’autant plus que les ombudsmans sont généralement mis en place pour enquêter sur les actions d’acteurs puissants et disposant de ressources importantes (par exemple, le gouvernement et les grandes entreprises).

En effet, Michael Frahm, en commentant l’application des normes internationales aux ombudsmans en Australasie et dans le Pacifique Sud, note :

« La fonction d’enquête confère généralement à l’ombudsman des pouvoirs élargis lui permettant d’établir tous les faits pertinents relatifs à l’objet de l’enquête […] L’ombudsman peut entendre toute personne et obtenir d’elle tout matériel ou document. Dans ce contexte, il ou elle peut faire prêter serment dans tous les territoires. L’organisme concerné ainsi que toute personne convoquée par l’ombudsman est légalement tenue de soutenir l’ombudsman en lui fournissant les informations demandées et en lui remettant tout matériel demandé […] C’est un grand défi pour les ombudsmans que de devoir dépendre de la volonté de coopérer des administrations pour mener à bien leurs enquêtes. La notoriété et la réputation de l’ombudsman lui-même peuvent souvent être un facteur de soutien. Toutefois, sans la menace de sanctions, le respect des demandes des ombudsmans risque d’être plus faible qu’il ne l’est aujourd’hui. » [traduction]Note de bas de page 55

Sur le plan international, la norme pour les ombudsmans du service public, comme le reflètent les Principes de Venise, est de disposer de pouvoirs de contrainte juridiquement exécutoires. C’est ce que reflète la description que fait Linda Reif des pouvoirs de « l’ombudsman classique » :

« L’ombudsman est doté de pouvoirs d’enquête importants. Ces pouvoirs comprennent l’obligation de produire des documents et d’obtenir la présence et la déposition de témoins, au moyen d’une citation à comparaître si nécessaire. Bien qu’il s’agisse d’un filet de sécurité important pour les enquêtes de l’ombudsman, dans la pratique, ces pouvoirs forts ne sont pas souvent utilisés. » [traduction]Note de bas de page 56

En ce qui concerne les ombudsmans du secteur privé,Note de bas de page 57 il existe différents modèles pour garantir la coopération avec l’enquête de l’ombudsman :

En ce qui concerne les ombudsmans du secteur privé, il existe donc des moyens permettant d’obtenir la coopération des organisations, même en l’absence de pouvoirs de contrainte ayant force exécutoire. Le plus souvent, cela se fait au moyen d’une coopération entre l’ombudsman et un organisme de réglementation, qui a le pouvoir d’imposer des sanctions ou de contrôler l’accès au marché. Un filet de sécurité réglementaire, combiné à une atteinte à la réputation générée par une publicité négative, peut s’avérer efficace dans la plupart des cas. En outre, il est courant que les mandats et les règles des régimes précisent que, dans un cas particulier, des conclusions défavorables seront tirées de l’absence de communication des informations demandées.

En ce qui concerne l’OCRE, le mécanisme dont il dispose pour assurer la coopération dans la tenue des enquêtes est défini au paragraphe 10 du décret no 2 :

10 Si l’entreprise canadienne n’agit pas de bonne foi au cours de l’examen ou pendant le suivi de celui-ci, l’ombudsman peut recommander au ministre la mise en œuvre de mesures commerciales, notamment :  

a) le retrait de l’appui à la défense des intérêts commerciaux de l’entreprise canadienne par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement;  

b) le refus par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement d’appuyer à l’avenir la défense des intérêts commerciaux de l’entreprise canadienne;  

c) le refus par Exportation et développement Canada de soutenir financièrement l’entreprise canadienne à l’avenir.Note de bas de page 59  

En outre, les paragraphes 13 à 16 du décret no 2 contiennent des dispositions relatives à l’établissement de rapports qui confèrent à l’OCRE le pouvoir de publier des rapports d’enquête et l’obligation de soumettre des rapports annuels au ministre, qui doit ensuite les présenter au Parlement.

En cas de refus de fournir des informations et de coopérer à une enquête, l’OCRE peut tirer des conclusions défavorables de ce refus pour rendre une décision sur ce cas particulier, conformément au paragraphe 11.2 des Procédures opérationnelles du Mécanisme de responsabilisation des droits de la personne de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (les procédures de fonctionnement) de l’OCRE. Les Procédures opérationnelles, à la section 12, fournissent des détails supplémentaires sur les cas où l’OCRE considère qu’une entreprise n’agit pas « de bonne foi » aux fins du paragraphe 10 du décret no 2.

L’OCRE dispose donc de mécanismes lui permettant de faire pression sur les organisations pour qu’elles fournissent des informations. Mais ces mécanismes sont-ils suffisants ou faut-il des pouvoirs ayant force exécutoire?

Le rapport McIsaac présente une vue d’ensemble des arguments en faveur et en défaveur de l’octroi d’un pouvoir de contrainte ayant force exécutoire :

Il est bien sûr difficile de trancher cette question dans l’abstrait étant donné qu’il n’y a pas encore eu de cas documentés de non-respect des demandes d’information et qu’il n’est donc pas certain que les mécanismes dont dispose l’OCRE seront efficaces dans la pratique. Il se pourrait bien que les pouvoirs actuels de l’OCRE soient suffisants – dans la pratique – pour garantir le respect des règles et que les craintes exprimées par les ONG de défense des droits de la personne ne se concrétisent pas.

En effet, tout en précisant que les critiques concernant le mandat et les pouvoirs actuels de l’OCRE sont fondées, Tamar Meshel soulève les points suivants concernant l’efficacité potentielle de l’OCRE tel qu’il est actuellement constitué :

Il s’agit là d’observations utiles, même si une question importante se pose quant à l’application des théories réglementaires aux ombudsmans, dont la fonction première est la réclamation indépendante. L’exigence d’impartialité et d’équité procédurale entre les parties dans le contexte d’un mécanisme de décisionNote de bas de page 61 est manifestement très différente de la relation dyadique entre l’organisme de réglementation et l’entité réglementée. En tout état de cause, si les pratiques réglementaires modernes peuvent mettre l’accent sur la collaboration et la réactivité, les organismes de réglementation ne sont généralement pas dépourvus de pouvoir de sanction et disposent d’une série de leviers pour s’assurer que les résultats réglementaires sont atteints.

Compte tenu des aspects soulevés précédemment au point 6.1 concernant la nécessité d’une indépendance vis-à-vis du gouvernement et des entreprises canadiennes, le recours à des sanctions appliquées par le gouvernement peut être considéré comme un mécanisme imparfait pour garantir le respect des règles. Les changements de climat politique, les changements de gouvernement ou les impératifs économiques peuvent tous avoir une incidence sur le degré d’efficacité de ce mécanisme au fil du temps. Il est légitime de se demander si le respect des enquêtes menées par un ombudsman des droits de la personne doit être soumis à de tels aléas.

Il convient également de noter que, comme indiqué ci-dessus, le groupe de travail des Nations Unies a recommandé que l’OCRE « dispose de pouvoirs d’enquête lui permettant d’obliger les témoins à comparaître et les intervenants à produire des documents ».Note de bas de page 62

En outre, l’argument avancé par les associations sectorielles représentant les entreprises canadiennes, selon lequel le processus de l’OCRE deviendrait conflictuel et légaliste, semble erroné. Les entreprises seront soit disposées à agir de bonne foi en coopérant avec l’OCRE, soit non. L’existence d’un pouvoir servant de filet de sécurité pour obliger à fournir des informations ne conduira pas une organisation qui aurait été disposée à coopérer à ne pas le faire.

Une distinction importante doit être faite ici en ce qui concerne la capacité à faire respecter la procédure de l’ombudsman et la capacité à faire respecter les résultats de cette procédure. Cette dernière est généralement considérée comme inappropriée pour les ombudsmans, car elle réduirait la coopération et conduirait à des contestations judiciaires, alors que la première est généralement considérée comme une caractéristique essentielle permettant d’assurer efficacement la fonction de l’ombudsman.Note de bas de page 63

Lorsqu’il existe des pouvoirs de contrainte, il y a peu d’éléments indiquant que ces pouvoirs doivent être utilisés par les ombudsmans dans la pratique. Au lieu d’empêcher la coopération, les pouvoirs de contrainte peuvent en fait l’encourager, sans rien changer pour les parties qui sont de toute façon disposées à participer au processus de bonne foi et en donnant matière à réflexion aux intervenants qui seraient autrement tentés de ne pas coopérer à la procédure d’enquête.

Il convient également de noter que le débat concernant les pouvoirs de contrainte de l’OCRE avait comme point de départ qu’il fallait choisir entre deux options : des pouvoirs complets ou aucun pouvoir. Il semblerait utile que l’OCRE dispose d’un éventail d’approches dans sa « boîte à outils » de conformité, de sorte que des pouvoirs d’exécution de la loi soient disponibles en même temps que la possibilité de recommander au gouvernement du Canada de retirer son soutien aux entreprises qui ne respectent pas les règles. Là encore, il convient de faire une distinction entre les pouvoirs formels et l’utilisation judicieuse de ces pouvoirs : le fait de disposer d’une série de mécanismes pour traiter les entreprises récalcitrantes ne devrait pas empêcher l’OCRE de rechercher généralement la coopération des entreprises et de travailler avec elles d’une manière qui vise à obtenir de véritables améliorations dans la pratique des droits de la personne plutôt qu’une conformité à contrecœur.

Dans l’ensemble, le présent rapport conclut donc qu’il serait préférable que l’OCRE dispose de pouvoirs lui permettant d’exiger la production de preuves.Note de bas de page 64 Bien qu’il y ait des arguments raisonnables de part et d’autre de ce débat, cette conclusion est tout à fait conforme aux Principes de Venise. Les pouvoirs de contrainte devraient exister parallèlement aux mécanismes existants énoncés aux paragraphes 7 et 10 du décret no 2, en fournissant à l’OCRE une série d’outils lui permettant de s’assurer que ses enquêtes sont menées à bien.

4.11.3  Recommandation

Recommandation 13 : L’OCRE devrait être doté de pouvoirs juridiques ayant force exécutoires lui permettant d’exiger la production de preuves.

4.12  Indicateur d’indépendance 12 : pouvoir d’imposer des réponses aux recommandations

4.12.1  Normes

Le principe 17 des Principes de Venise prévoit ce qui suit : « L’Ombudsman doit être habilité à adresser des recommandations particulières aux organismes relevant de leur compétence. L’Ombudsman doit avoir le droit juridiquement exécutoire d’exiger des responsables et des autorités qu’ils répondent dans un délai raisonnable fixé par la loi. »

Les Statuts de l’IIO font simplement référence au pouvoir de faire des recommandations plutôt qu’à la capacité d’exiger une réponse dans un délai déterminé : « elle [l’institution d’ombudsman] doit détenir le pouvoir de faire des recommandations afin de remédier ou prévenir toute conduite décrite au paragraphe 2 (b) et, le cas échéant, de proposer des réformes législatives ou administratives en vue d’améliorer la gouvernance ».

En ce qui concerne la mise en œuvre des décisions de l’ombudsman, les modalités de l’OA prévoient que « i) les personnes faisant l’objet de l’enquête doivent être liées par les décisions ou les recommandations de l’ombudsman; ou ii) on doit pouvoir raisonnablement s’attendre à ce que les décisions ou les recommandations de l’ombudsman soient respectées » [traduction]. Dans tous les cas où ces décisions ne sont pas respectées, l’ombudsman devrait avoir le pouvoir de rendre public ce non-respect ou d’en exiger la publication aux frais des sujets de l’enquête. » [traduction]

En résumé, le pouvoir de formuler des recommandations est une caractéristique clé attendue de l’institution de l’ombudsman. Il est également prévu qu’un mécanisme soit mis en place pour assurer le respect des règles dans la plupart des cas. Il s’agit le plus souvent de pouvoirs permettant de rendre publique la non-conformité. Les Principes de Venise suggèrent que les ombudsmans devraient avoir un droit juridiquement exécutoire d’exiger des réponses aux recommandations.

4.12.2  Évaluation

L’OCRE est actuellement habilité, en vertu du paragraphe 11(1) du décret no 2, à faire des recommandations à toute personne à la suite d’une enquête et peut, en vertu du paragraphe 11(2), donner suite à ces recommandations. Le non-respect des recommandations peut être rendu public au moyen des dispositions relatives à l’établissement de rapports précisées aux paragraphes 13 à 16.

Le paragraphe 12.6 des Procédures opérationnelles de l’OCRE stipule que « [l]e refus sans explication raisonnable de la part d’une entreprise canadienne de mettre en œuvre une recommandation faite par l’ombudsman peut être pertinent pour déterminer si elle agit ou non de bonne foi. » Comme indiqué ci-dessus, le paragraphe 10 du décret no 2prévoit un mécanisme permettant à l’OCRE de recommander que le soutien du gouvernement soit retiré aux entreprises qui n’agissent pas de bonne foi. Les paragraphes 13.6 et 13.7 des Procédures opérationnelles fournissent de plus amples détails sur les circonstances dans lesquelles une recommandation sera formulée pour non-respect des recommandations.

L’approche actuelle de l’OCRE, qui n’inclut pas de pouvoirs permettant d’imposer légalement des réponses aux recommandations, est la même que celle de nombreux ombudsmans dans le monde. La capacité d’imposer une réponse à une recommandation est l’un des domaines dans lesquels les Principes de Venise semblent viser le resserrement des normes plutôt que l’arrimage avec les pratiques actuelles prédominantes au sein de la communauté des ombudsmans. Comme pour la possibilité de contraindre à la production de preuves, les pouvoirs juridiques permettant d’imposer une réponse devraient généralement fonctionner comme un filet de sécurité et ne pas être systématiquement requis. En tant que tel, ce pouvoir constituerait un complément utile aux pouvoirs de l’OCRE.

4.12.3  Recommandation

Recommandation 14 : L’OCRE devrait se voir accorder le pouvoir juridique ayant force exécutoire d’exiger que ses recommandations soient suivies d’effet dans un délai donné.

5. Conclusion

En créant l’OCRE et en lui donnant la fonction d’ombudsman plutôt qu’en adoptant une autre forme de mécanisme de réclamation non judiciaire, le gouvernement du Canada s’est en fait engagé à adopter les normes les plus élevées en ce qui concerne l’indépendance et l’efficacité de la nouvelle institution. Bien que les exigences exactes en matière d’indépendance et d’efficacité varient en fonction du contexte, la communauté mondiale des ombudsmans s’entend généralement sur le fait que l’indépendance structurelle et opérationnelle et la capacité d’obtenir efficacement des preuves et des témoignages sont essentielles à l’institution de l’ombudsman.

Le présent rapport a constaté qu’une série d’améliorations pourraient être apportées à l’OCRE afin de garantir sa conformité avec les Principes de Venise et d’autres normes internationales s’appliquant à l’institution de l’ombudsman. L’indépendance structurelle de l’OCRE, sa base législative, son mode de nomination, la durée de son mandat, son mandat et sa révocation, le d’établissement de son budget, sa capacité à nommer des conseillers en toute indépendance, son immunité contre les poursuites judiciaires, ses pouvoirs de contrainte et d’exiger des réponses aux recommandations pourraient tous être renforcés. Un résumé des recommandations formulées dans le rapport est disponible précédemment aux pages 3 et 4.

Comme nous l’avons indiqué précédemment, les conclusions et recommandations du présent rapport ne doivent pas être interprétées comme signifiant que, dans sa forme actuelle, l’OCRE ne peut pas remplir son mandat avec un degré considérable d’efficacité et d’indépendance. De nombreux ombudsmans dans le monde ne sont pas conformes à toutes les normes énoncées dans les Principes de Venise. Parmi ceux qui sont conformes aux normes en théorie, un certain nombre ne les respecteront pas dans la pratique, et vice versa. L’indépendance et l’efficacité de droit et de fait sont souvent imparfaitement liées.

Cela dit, le présent rapport avait pour mission d’évaluer l’OCRE par rapport aux normes élevées fixées pour l’institution dans les Principes de Venise, même si ces normes ne sont pas entièrement observées dans la pratique de la communauté mondiale des ombudsmans. Ces normes n’ont pas été élaborées en tenant compte de la compétence unique de l’OCRE, mais le rapport fait valoir que, compte tenu du contexte particulier de l’OCRE et de son mandat en matière de droits de la personne, elles sont applicables à l’OCRE et constituent la meilleure source de normes internationales sur la fonction d’ombudsman pour l’évaluation de l’institution.

Cette évaluation a mis en évidence un certain nombre de domaines dans lesquels des améliorations pourraient être apportées afin de garantir la pleine indépendance de l’OCRE. Ces améliorations sont importantes, non seulement pour l’OCRE et les titulaires de droits qu’il est censé protéger, mais aussi pour l’ambition du Canada de jouer un rôle de premier plan à l’échelle mondiale en ce qui concerne les entreprises et les droits de la personne. L’OCRE représente une utilisation novatrice de l’institution de l’ombudsman qui pourrait devenir un point de référence au niveau international. Il est donc important que la conception législative de l’OCRE soit à la hauteur du discours ambitieux envers lequel s’est engagé le gouvernement du Canada en créant l’OCRE.

La position actuelle de l’OCRE illustre une énigme bien connue de la communauté mondiale des ombudsmans : comment élever les normes tout en reconnaissant la diversité des approches et en ne dépréciant pas les efforts et la valeur des organisations dont les mandats sont limités, certes, mais qui peuvent néanmoins apporter une contribution importante à l’amélioration de l’accès à la justice? En fin de compte, c’est au gouvernement du Canada, à l’OCRE et à ses intervenants qu’il appartient de déterminer dans quelle mesure l’OCRE doit être réformé pour répondre aux normes internationales en matière de fonction d’ombudsman. Nous espérons que notre rapport et ses recommandations constitueront un point de référence utile pour ces discussions.

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